H1N1 trois ans plus tard

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Des problèmes de communication ont causé du retard.
On a eu l’impression d’être dans un village africain, où les sages discutent pendant un mois avant de prendre une décision

Le prochain virus pourrait faire très mal

Quatre cent vingt-huit morts. Une facture proche du milliard. Le Canada a-t-il retenu les leçons en cas de nouvelle pandémie? Surtout avec un virus plus costaud que celui de 2009.

Plusieurs experts joints par DH en doutent, malgré leur optimisme de rigueur. Les autorités ont-elles mal piloté la crise lorsque l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré l’état de pandémie mondiale, le 11 juin 2009? « Comme le Canada n’est pas une dictature et qu’il faut un consensus entre les provinces et Ottawa, on a eu l’impression d’être dans un village africain, où les sages discutent pendant un mois avant de prendre une décision », déclare Philippe DeWals, épidémiologiste et professeur à l’Université Laval.

H1N1 fut, en fait, une immense répétition pour la prochaine pandémie, qui pourrait être plus grave, dit-il.

« En 2009, nous avons eu de la chance : le virus était peu virulent, comme notre grippe hivernale, poursuit-il. » Mais les gouvernements ont réagi tardivement. Les vaccins sont arrivés durant la seconde vague d’infection, alors que nous avions des usines flambant neuves, notamment à Québec. S’il faut vacciner les gens le plus rapidement possible, le Canada a été un des derniers pays à le faire.

Alerte!

Au cœur de la campagne de vaccination, la présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), Régine Laurent, accusait Québec d’improvisation. Constatant que les gens ne voulaient pas se faire vacciner, les autorités auraient agi « selon les sondages » et misé sur une « campagne de peur » pour inverser l’opinion publique, selon elle.

« Les alarmes étaient générées essentiellement sur des critères de transmissibilité du virus, et non sur sa virulence. Quand l’OMS a levé les alertes en tenant compte du premier critère, on a eu l’impression que les autorités avaient sur-réagi », nuance le Dr De Wals.

Les médias québécois n’ont toutefois pas fait dans la dentelle. « On a créé une hystérie collective unique au monde, affirme Jean-François Dumas, président la firme Influence Communications. Au plus fort de la crise, H1N1 a généré 1,4% du volume de nouvelles dans tous les médias de la planète. Ce fut 2,4% au Canada et… 6,7% au Québec. Les autorités ont tellement eu peur de se faire critiquer d’avoir sous-évalué la crise qu’ils ont laissé les médias faire leur show de boucane. »

Ça ne date pas d’hier : durant la grippe aviaire de 2006, les thanatologues pensaient manquer de sacs pour envelopper les morts (body bags). Le taux de fatalité fut pratiquement nul. Avec N1N1, ils craignaient de reporter des funérailles, ont rapporté les médias.

« Les scientifiques devraient éduquer les médias à être plus responsables, reprend Philippe De Wals. Mais les scientifiques devraient apprendre à mieux communiquer », car les médias étaient inondés de messages contradictoires tout au long de la crise.

Les autorités ont-elles paniqué? Absolument pas, disent les spécialistes. Ont-elles eu peur des critiques? « Si vous ne réagissez pas ou si vous en faites trop, on vous blâme. J’aime mieux sur-réagir en toutes circonstances », affirme le Dr John Skipa, directeur général du Centre de l’immunisation et des maladies respiratoires infectieuses (CIMRI) rattaché à l’Agence de la santé publique du Canada..

« Plus de 45% des Canadiens ont reçu le vaccin, dont 60% des femmes enceintes, un des taux les plus élevés au monde », dit-il.

Soyons flexibles

Il reconnaît que la planification fut trop rigide : « Nous pensions que la pandémie aurait initialement frappé l’Asie. Finalement, elle venait de la campagne Mexicaine et nos touristes l’ont ramenée ici. Au lieu d’avoir plusieurs mois pour se préparer avec l’expérience des autres, on a appris sur le tas. »

Comme pour la grippe espagnole de 1918-20, H1N1 a frappé une majorité d’ados et des jeunes enfants, et non les habituelles personnes âgées. Des centaines d’enfants et de femmes enceintes ont envahi les salles de soins intensifs, pour des semaines ou des mois, au lieu de quelques jours. Les autorités ont été prises de court.

« Il faudra produire des vaccins plus rapidement la prochaine fois, reprend John Skipa. Et faire appel aux nouvelles technologies, comme la culture cellulaire. »

En 2009, le Canada a acheté 50 millions de vaccins à des pharmaceutiques comme GlaxoSmithKlein, pour 246M$ (7,6 millions au Québec, pour 22,6M$). Leur production rapide a semé le doute dans la population. On craignait l’adjuvant contenu dans le vaccin, qui renforce et active le système immunitaire. « Finalement, le vaccin fut très efficace car il a protégé 90% des inoculés, notamment les femmes enceintes, rapporte le Dr De Wals. Les propagateurs de légendes urbaines ont été désavoués. Pas plus tard qu’en juillet dernier, j’ai publié que ce type de vaccin entraîne un risque d’un cas du syndrome de Guillain-Barré (une inflammation du système nerveux) par un ou deux millions de personnes inoculées. On est très proche du risque zéro. » Un vaccin normal contre la grippe protège habituellement 70% des personnes inoculées (50% chez les gens âgés).

Ça peut aller très mal

Doit-on s’attendre au pire? Les gouvernements ont eu vraiment peur lors de la crise du SRAS, qui s’est finalement limitée aux hôpitaux de Toronto en 2003. Depuis dix ans, ils multiplient les plans d’urgence et les simulations, érigent des usines à vaccins et des méga-entrepôts secrets pourvu de tonnes de fournitures, comme des masques et des médicaments antiviraux.

Le pire serait une pandémie d’influenza dont le virus subit une mutation en cours de route et pour lequel les millions de doses de vaccins préparées à la hâte sont inutiles. Le scénario-catastrophe québécois prévoit jusqu’à 35% de la population (2,5 millions de Québécois) infectée en deux mois, 1,4 million de consultations médicales, 34 000 hospitalisations, 8500 morts, un personnel médical débordé, des milliers de médecins et infirmières malades, la conscription d’étudiants et de retraités dans les cliniques et les hôpitaux, des perturbations du transport en commun, des magasins en rupture de stock, des chèques de paie en retard…

Pourrions-nous vivre un cauchemar comme dans la série télé The Walking Dead, où des millions de zombies pourchassent une poignée de survivants? « Tout est possible. Regardez la crise du verglas : le centre-ville de Montréal désert, des millions de Québécois dans le noir, des centres d’urgence bondés de réfugiés… Mais, au moins, avec les maladies infectieuses, on sait qu’elles sont continuelles et perpétuelles. On a trois ou quatre pandémies par siècle. On peut se préparer », explique Karl Weiss, infectiologue rattaché l’hôpital Maisonneuve-Rosemont et professeur à l’Université de Montréal.

100 millions de morts

Ce dernier rappelle que la peste noire a fait 25 millions de victimes en Europe (entre 30 et 50% de la population) entre 1349 et 1351, en se propageant dans les foires. La grippe espagnole s’est traduite par 30 à 100 millions de morts dans monde (18 000 pour H1N1 en 2009), comparé à 65 millions pour la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, on peut quitter le cœur de l’Amazone et se retrouver angle Peel et Sainte-Catherine en 24h. Une maladie peut voyager rapidement. « Mais la médecine moderne a les moyens de faire face à la menace, surtout si vous êtes préparés, si vous avez les tests et les vaccins rapidement », ajoute le Dr Weiss.

Pourtant, certains virus assez épouvantables circulent dans la nature. Mais, influenza demeure le plus nocif. À cause de ses mutations et sa transmission rapide à grande échelle, ce qui n’est pas le cas d’Ebola, de la tuberculose ou de la malaria.

Le Dr Skipa ne croit pas aux catastrophes hollywoodiennes. Il craint davantage les revirement de l’opinion publique.

« Les gens doivent se faire vacciner contre la grippe chaque hiver, rapporte le Dr John Haggie, président de l’Association médicale canadienne. Quand la pandémie frappe, statistiquement moins de personnes sont vulnérables ». Mais les gens n’y croient pas : 36% des Canadiens et 27% des Québécois (le taux le plus bas au pays) se font vacciner chaque hiver. Selon les sondages rapportés par le Dr Haggie, les gens n’estiment pas que le vaccin va les protéger, car ils confondent la grippe et le rhume. Ce dernier vous fera souffrir pendant cinq jours. La grippe peut durer des semaines et même vous tuer.

En 2009, beaucoup ont boycotté les cliniques : « Ça fait 30 ans qu’on dit que fumer est nocif pour la santé. Comme médecin, je vous donne les faits. Vous prenez votre décision en toute conscience », conclut Karl Weiss.

H1N1 en chiffres

Sources : Organisation mondiale de la santé (OMS), gouvernements canadien et québécois, Risk Management Solutions (RMS), Center for Disease Control and Prevention (CDC), Québec Science, PBS

 

Le nombre de décès :

Monde : 18 449

États-Unis : 17 600

Canada : 428

Québec : 108

 

Victimes québécoises

Cas confirmés : 13 557

Hospitalisations : 3055

Soins intensifs : 464

Décès : 108

 

La facture totale

Québec : 73,1 M$

Canada : 443 M$

France : 682,2 M$

États-Unis : 6,5G$

 

Le coût des vaccins

Québec :

• achat : 22,6 M$

• destruction (2010-11) : 39,2M$

Canada :

• achat : 246M$

 

Le nombre vaccins

Québec : 7,6 millions

Canada : 50,4 millions

France : 43 millions

États-Unis : 72 millions

 

Le taux d’inoculation (vs population totale)

Suède : 70%

Québec : 57%

Canada : 45%

Ontario : 40%

États-Unis : 24%

France : 20%

Japon : 12%

Royaume-Uni : 7%

 

Nos ennemis (victimes dans le monde) :

Grippe espagnole (1918-20) : 50 à 100 millions

Grippe asiatique (1957-58) : 1 à 4 millions

Grippe de Hong-Kong (1968-79) : 1 à 2 millions

H5N1 (grippe avaire, 1997) : 71 millions

SRAS : 774 personnes

N1N1 2009 : 18 000 personnes (OMS) – 575 400 personnes (sources diverses)

Grippe saisonnière : entre 250 000 et 500 000 victimes par année

 

En vrac

• 18% des Québécois infectés à l’été 2009

• 4,4 millions de québécois vaccinés

• 30 ans : âge moyen des québécois hospitalisés

• 40% des Québécois hospitalisées avaient 5 à 49 ans

• + de 3000 Québécois hospitalisés à la 1e vague

• 10 millions de guides postés aux Canadiens

• 78% des Canadiens croyaient que les médias exagéraient la menace en octobre 2009

• 20 millions de pages consultées sur le site internet de l’Agence de la santé publique du Canada

• 200 pays et territoires touchés

• 120 millions de vaccins livrés dans le monde (2009-10)

 

Les stocks secrets du Québec :

• 23 millions de masques

• 15 millions de seringues

• 2,5 millions de blouses

• plusieurs millions d’antibiotiques, de stabilisateurs de pression artérielle, de médicaments pour les reins, etc.

 

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