Oser changer! Franchir le cap!

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Un rouage stratégique du Québec inc.Ne lâchez pas ! Jamais ! C’était le message principal de cinq vedettes du Québec Inc. formant une table ronde portant sur l’importance de l’entrepreneu- riat dans notre société.

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Les 400 mentors présents au Théâtre Capitole, à Québec, buvaient lit- téralement leurs paroles, car nos conférenciers ont livré des échanges inspirés sur la valorisation du statut d’entrepreneur. Un métier qu’ils vénèrent.

Ils n’étaient pas venus pour parler de mentorat, mais pour livrer secrets et anecdotes sur leur parcours jalonné de succès et parfois d’échecs retentissants, où proches et amis ont souvent joué le rôle de « mentor ».

Les cinq vedettes du Québec Inc. s’étaient rassemblées pour partager

leur expérience et offrir leurs témoignages dans le cadre du 13e Rendez- vous du mentorat pour entrepreneurs. Une véritable fête de la motiva- tion, avec des leçons de vie pimentées d’un humour habile et efficace.

Mais pourquoi s’être lancé en affaires ? C’est la question initiale lancée par la modératrice, Isabelle Maréchal. D’entrée de jeu, Caroline Néron a révélé que son aventure dans le monde des affaires ne visait qu’un but : gagner son indépendance. « Je voulais prendre tout le contrôle de mes projets. Ça a marché. »

Louis Garneau a avoué qu’il n’était pas le meilleur à l’école. Ni le meil- leur sportif ! « Aujourd’hui, on appellerait ça un déficit d’attention. Disons que j’avais de la misère en maths [rires dans la salle]. Avec le temps, j’ai appris à persévérer et à gagner. Et, surtout, à travailler plus fort que les autres. C’est comme ça que j’ai abouti dans le monde des affaires. »

Joey Saputo explique que toute son enfance fut marquée par le soccer et l’entreprise familiale. « Je viens d’une famille italienne. Le père a beaucoup d’autorité ! Il n’approuvait pas toujours mes choix de car- rière, mais il m’a répété que cela lui importait peu, pourvu que je sois le meilleur ! Quand j’ai choisi le soccer, il disait qu’il n’y avait pas d’argent à faire là-dedans. Mais il m’a appuyé. Il ne croyait pas au soccer d’un point de vue commercial. Mais il croyait en moi ! »

Lorsque Saputo a fait son entrée en Bourse, il a fallu vendre l’Impact de Montréal. Sur demande de la ligue, Joey a racheté l’équipe six mois plus tard des hommes d’affaires qui l’avaient acculé à la faillite. « Quand t’es en affaires, t’es souvent seul avec tes problèmes. J’ai eu de la chance : mon père a toujours été là pour m’offrir ses conseils. Il fut mon mentor, en quelque sorte. »

« Je voulais faire le métier de chanteur. Je suis devenu premier ministre, ajoute, mi-figue mi-raisin, Brian Mulroney, suscitant l’hilarité générale. Mon père était électricien pour une papetière. Il avait six enfants. Il a fondé une entreprise et réalisait des contrats après son travail, chaque soir, pour faire vivre sa famille. »

L’ex-premier ministre ne cache pas ses affinités avec Pierre Péladeau, le fondateur de Québecor : « Je l’avais rencontré pendant mes études à l’Université Laval. Il est devenu un modèle pour moi. En fait, toute ma vie, j’ai connu du succès grâce à mes aptitudes développées en côtoyant des entrepreneurs québécois. Mes mentors, c’étaient Pierre Péladeau et Paul Desmarais. Ce sont des génies, croyez-moi ! »

Par dessus tout, il a appris une chose de ses mentors : « Ils m’ont donné le goût du risque. » M. Mulroney raconte qu’il recevait souvent Pierre Péladeau quand il occupait le 24, Sussex, la résidence du premier ministre à Ottawa. « À ses passages dans la capitale, il m’appelait. Même si tu es le premier ministre, t’as pas intérêt à dire non ! Il me donnait des

conseils, comme celui-ci : ayez toujours le courage de ne pas réussir. Ça permet de prendre des risques que je qualifierais de raisonnables. Et de panser ses plaies quand on frappe un mur. »

Partir de rien

Louis Garneau a lancé son entreprise dans le garage paternel. Avec 6 000 $. En quelques jours, il avait mis sur pied un atelier de confection de vêtements de cyclisme avec sa femme, Monique Arsenault.

« Ma meilleure école fut justement celle du vélo. Dans ce sport, quand tu tombes, ça fait mal. Et tu peux perdre une course. Mais t’as pas le choix : faut te relever. Ma carrière sportive m’a appris à jouer avec le stress, la performance. Je sais ce que c’est de connaître une bonne journée. J’ai moi aussi rencontré Pierre Péladeau et son conseil m’a tou- jours suivi : quand tu joues, c’est pour gagner. Mon premier mentor fut mon comptable, M. Dubé. Je ne connaissais rien aux chiffres. D’abord il m’a fait comprendre que je devais connaître mon prix de revient. Et qu’il fallait faire un profit, sinon mon rêve disparaîtrait bien vite. D’une certaine façon, j’ai rem- placé mon entraîneur par un comptable. Les deux se ressemblent : ils fixent des objectifs et te ramènent sur terre si tu deviens un peu trop ambitieux. »

« Je me suis lancée en affaires presque sur un coup de tête, confie Caroline Néron. J’ai toujours été entourée de gens d’affaires. Mes parents étaient agents d’immeubles. J’avais mes idées, mais per- sonne n’y croyait dans mon entourage. »

« J’ai démarré mon entreprise avec un prêt de 10 000 $ accordé par mon chum, poursuit-elle. À l’époque, je venais de lancer mon deuxième album, qui fut un échec lamentable. Mon image en était affectée. Après une carrière de comédienne, puis celle de chanteuse, on se demandait si la vision de femme d’affaires pouvait tenir la route… »

Très vite, Caroline Néron fait une « erreur de par- cours ». Elle tenait à vendre à l’international. Partie de rien, elle avait déjà neuf employés et cinq kiosques qui vendaient ses bijoux dans autant de centres commerciaux québécois. « J’ai eu la chance de pré- senter mes produits aux Galeries Lafayette à Paris. Le public a suivi. Je me suis dit que je devais m’installer pour de bon en France. J’ai eu un prêt garanti par Investissement Québec. Six mois plus tard, j’ai tiré la plug. J’avais perdu 100 000 $… »

Qu’à cela ne tienne, en pleine grossesse, elle ouvre une boutique au Carrefour Laval. Succès

immédiat et fulgurant. En un mois, elle domine les ventes de bijoux dans ce centre commercial. « J’ai ouvert trois autres boutiques et mon chiffre d’affaires est passé de 900 000 $ à 10 M$ en trois ans.

Quand ça va mal…

En 1987, Louis Garneau a le vent dans les voiles. Son chiffre d’affaires frôle les deux millions. Il se lance à l’assaut du marché américain et ouvre une usine au Vermont. La récession frappe à l’automne et il vend pour 250 000 $ de marchandise, au lieu du million espéré.

« J’ai frappé un mur et, pour m’en sortir, j’ai dû céder une partie de mon entreprise à une société en capital de risque, un geste que je ne regrette nullement. Cet obstacle fut la meilleure chose qui ait pu m’arriver. Je me suis ressaisi. C’est là que j’ai inventé une maxime qui me suit depuis ce temps : innover ou mourir. On s’est lancés dans la fabrication de casques de vélo. On avait le meilleur produit au monde, qui était breveté. J’en ai vendu partout sur la planète. »

Ce redécollage permet de racheter les actions de la société de capital de risque et de s’installer en Europe. « J’étais inspiré par les Lemaire et Péladeau, qui y sont allés eux aussi. Et, comme eux, je me suis planté en France. J’ai perdu 2 M$. Ça nous a pris des années pour nous renflouer. Je me réveillais en pleine nuit, rongé par l’angoisse. Mais je me suis dit que je n’abandonnerais jamais. »

Brian Mulroney acquiesce et évoque Meech comme l’expérience la plus pénible de sa vie. « J’ai vécu ça comme un décès dans la famille. De voir cet accord historique saboté par d’autres provinces et même par des Québécois célèbres. Ce fut une lourde perte pour le Québec. Je l’ai pris « personnel ». D’autant plus qu’en politique, les échecs sont publics. Chacune de vos gaffes fait la une des journaux… Mais ce n’est pas une excuse pour se défiler. Le président américain Harry Truman a déjà dit qu’il n’y a pas de grands personnages, juste des gens ordinaires qui relèvent de grands défis. »

En 1976, M. Mulroney a 36 ans. On l’invite à bri- guer la direction du Parti progressiste-conservateur. Seul non-élu dans la course, il bénéficie d’appuis solides et de connexions en haut lieu. « Je suis arrivé 2e sur 12. Ce fut une belle course, mais j’étais quand même battu. Et criblé de dettes, avec un enfant en bas âge et ma femme qui était enceinte. J’ai beau- coup appris de la brutalité de cette défaite. »

En 1983, il délaisse un poste confortable de pré- sident de l’Iron Ore pour se lancer à nouveau à la tête du PC. « J’ai étudié toutes mes gaffes passées, même celles qui ont fait le plus mal. J’ai cessé de boire. J’ai reconnu mes erreurs. Les défaites nous aident et il faut toujours persévérer. Ceux qui disent que vous êtes fini quand vous allez au plancher se leurrent. Avec l’humilité qu’il faut, on se rend compte que ce n’est pas la fin du monde. On en sort plus fort. Plus préparé. »

Joey Saputo a lui aussi frappé un mur : sa décision d’étaler les matchs de l’Impact sur toute l’année fut désastreuse pour l’équipe. « Le soccer intérieur, ça ne marche pas au Québec. On a compris que le Centre Bell en hiver, c’est le palais des Canadiens.

On a perdu une fortune. Mais ce qui a fait le plus mal : j’étais frappé dans mon orgueil. »

Prendre des risques

« On a tous peur dans la vie de se lancer dans le vide. Prendre des risques, c’est contre la nature humaine, explique Caroline Néron. Mais la meilleure garantie de succès, c’est d’avoir confiance en soi. Je me suis lancée sans plan d’affaires, je ne connaissais rien à la gemmologie. Mais je savais que j’y arriverais. »

« Mon meilleur mentor, c’est ma mère, ajoute Louis Garneau. Elle fut toujours là dans des moments critiques. Comme en 1995, quand des Américains m’ont offert un pont d’or pour acheter ma compagnie. Ça m’a secoué. Ma mère m’a tout de suite fait part de son scepticisme : pourquoi vendre à des étrangers ? Je voulais garder le contrôle. Ma fibre québé- coise s’exprimait ! On a laissé trop d’entreprises, des fleurons de notre économie, entre des mains étrangères. Il faut demeurer des décideurs. Il faut lancer nos propres PME, dont plusieurs rayonneront partout dans le monde. Sinon, on risque de devenir un peuple de sous-traitants. Faut se tenir debout. Les Lemaire, Bombardier, Péladeau, ils n’ont pas eu peur d’affronter les géants de la concurrence. »

Mais peut-on avoir les moyens de ses ambitions ? Louis Garneau rétorque que la clé, c’est d’innover, d’avoir de bonnes idées. Joey Saputo renchérit : « Faut pas craindre d’aller chercher du financement, de se servir de l’argent des autres. Seule compte la façon dont vous allez le dépenser, cet argent. Si votre projet est bon, vous réussirez. »

« Il faut encourager vos mentorés à ne jamais abandonner, malgré les écueils, la concurrence, le manque d’argent, les crises, affirme Louis Garneau. Des moments difficiles, il y en a toujours. Des succès aussi. »

Les Québécois ont du retard

On l’a répété souvent pendant ce Rendez-vous du mentorat : les Qué- bécois créent moins d’entreprises que leurs voisins du reste du Canada. Louis Garneau se demande si la jeune génération en saisit les enjeux. Si elle est disposée à faire les sacrifices pour prendre en main notre destinée collective.

« Les jeunes privilégient leur qualité de vie, dit-il. Mais quand tu te lances en affaires, les cinq premières années, c’est très dur. Tant pour soi que pour le conjoint. Mais il faut faire ce sacrifice pour connaître le succès et réaliser ses rêves. »

Joey Saputo propose aux jeunes entrepreneurs de gagner du temps en interrogeant constamment son entourage, notamment ses employés et ses clients. Et en faisant appel à un mentor.

Caroline Néron suggère de coucher ses idées et ses réflexions sur papier. Chaque semaine. « Ça clarifie les choses. »

Brian Mulroney se dit optimiste : « Quand j’étais jeune, on aurait pu embarquer tous les millionnaires francophones du Québec dans un seul minibus. Aujourd’hui, ils sont nombreux. Et quand je vois les jeunes entrepreneurs, je me dis qu’il y a beaucoup de Rockefeller en devenir au Québec. Mais ils ont besoin de l’aide et de la sagesse tranquille de nos mentors. Vous avez le pouvoir, comme mentor, de susciter et entretenir des carrières formidables. »

 

Brian Mulroney

Le « p’tit gars de Baie-Comeau » y est né le 20 mars 1939 et fut le 18e premier ministre du Canada, de septembre 1984 à juin 1993. Jeune, à la fin des années 1950, il milite au Parti progressiste-conservateur et devient un proche de John Diefenbaker. Battu comme chef du PC par Joe Clark en 1976, il est élu président de l’Iron Ore l’année suivante. En 1983, il succède à Clark et bat le libéral John Turner en 1984, avec la plus forte majorité de l’histoire du pays (211 sièges sur 282). Ses plus notables réalisations furent l’accord canado-américain de lutte contre les pluies acides, le libre-échange nord-américain (ALENA), la TPS, la privatisation du CN, la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud et le renforcement de la francophonie. Il poursuit aujourd’hui une carrière d’avocat chez Ogilvy Renault et siège notamment au conseil d’administration de Québecor.

 

Encadrés:

Caroline Néron

Née à Boucherville en 1973, Caroline Néron amorce une carrière de comédienne à l’adolescence en tournant des publicités. Un premier rôle de soutien dans la série Urgence la fait connaître davantage. Cinq ans plus tard, elle aura tenu des rôles principaux dans les séries Diva, Tribu.com et Cover Me (à la CBC) ainsi que dans les films Eternal, L’Âge des ténèbres et Ice Cold, pour lequel elle remporte le prix de la Meilleure actrice au festival de Newport Beach, à Los Angeles. Au gala Métrostar de 2000, elle interprète cinq chansons : sa carrière de chanteuse décolle. Son album éponyme connaîtra un succès fulgurant et sera couronné Album pop rock de l’année au gala de l’ADISQ de 2003. En 2004, elle crée sa compagnie de conception, fabrication et vente de bijoux.

Louis Garneau

Né à Québec en 1958, Louis Garneau est titulaire d’un baccalauréat en arts visuels de l’Université Laval et fut cycliste de haut niveau pendant 13 ans. Après avoir participé aux Jeux olympiques de Los Angeles, il amorce une carrière d’entrepreneur en fondant Louis Garneau Sports en 1983, avec sa conjointe. L’entreprise démarre avec la confection de vêtements cyclistes, puis se diversifie avec les casques de vélo. Vingt-sept ans plus tard, elle vend ses produits dans 40 pays et compte 450 employés. Louis Garneau et son équipe conçoivent une vaste gamme de vélos, produits et accessoires cyclistes et de plein air. Sa devise : « Innover ou mourir ».

Joey Saputo

Né en 1964, fils de Lino Saputo, président de l’empire familial (douzième fabricant mondial de produits laitiers avec plus de 10 000 employés et troisième producteur fromager aux États-Unis), il fonde le club de soccer L’Impact de Montréal en 1992, qui est membre de la Ligue majeure de soccer nord-américaine (MLS). Le 10 mars 2012, l’Impact fait ses débuts à Montréal devant une foule record de 58 912 fans rassemblés au Stade olympique. En juin, le club s’installe dans un nouveau stade de 40 M$ qui porte le nom de la célèbre famille.

Isabelle Maréchal (modératrice)

Journaliste née en 1965, bachelière en commu- nication de l’UQAM, diplômée en droit de l’Université de Californie à Berkley et MBA des HEC Montréal, elle est animatrice de radio et comédienne. Elle a joué dans les séries Un gars une fille, Virginie et Caméra Café, ainsi que dans la pièce Les Belles-Sœurs et le film Karmina 2. Elle fut journaliste à Radio-Canada, chroniqueuse à l’émission La fin du mondcest à 7 heures et coanimatrice de l’émission Les Copines d’abord. Elle produit et anime Isabelle autour du monde pour TV5 en 2000 puis, en 2005, coanime le Grand Journal de 22h sur TQS. Elle fut animatrice du matin à CKAC, puis au 98,5 FM. Elle est très impliquée dans l’entreprise Novidev Santé Active, qu’elle dirige avec son mari.

 

 

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