Assassins de politiciens et de vedettes
Pourquoi ils en viennent à exploser?
Publié dans Dernière Heure, 28 septembre 2012
Ils accumulent les frustrations jusqu’au point d’éclatement. Ils se sentent persécutés. Ils confondent la politique et leurs angoisses personnelles. Ce sont des gens très, très malades.
C’est l’opinion de deux spécialistes québécois consultés par Dernière Heure : le Dr Gilles Côté, criminologue et psychologue, directeur du Centre de recherche de l’Institut Philippe-Pinel de Montréal et professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières, et le Dr Hubert Van Gijseghen, psychologue et professeur à la retraite de l’Université de Montréal. Ces experts avertissent qu’ils ne connaissent pas Richard Henry Bain, le tireur de l’assemblée du Parti québécois au soir des élections du 4 septembre.
Q: Les tireurs de politiciens sont-ils sains d’esprit?
G Côté, HV Gijseghen: Généralement, absolument pas.
Q: On parle de quel genre de pathologie?
HV Gijseghen: La plupart du temps, quand il s’agit de meurtres apparemment insensés mais justifiés par des raisons idéologiques ou religieuses, les tireurs ont de graves troubles mentaux, souvent schizo-paranoïdes.
Q: Quelles sont leurs motivations?
G Côté, HV Gijseghen: Oubliez le sexe, le pouvoir ou l’argent. L’agresseur ne recherche pas de profit immédiat.
Typiquement, ce sont des gens qui accumulent de vives tensions depuis l’enfance. À un moment, ça explose, comme un presto.
Les personnes normales sont équipées pour faire face à ces tensions intérieures. Elles ne sont pas envahies par la haine et l’agressivité. Pas les psychotiques, qui sont incapables de les ressentir. Ils deviennent désorganisés et bloquent ces tensions, d’où l’accumulation progressive qui mène à l’explosion.
Par exemple, si on vous pile sur le pied, vous aurez peut-être une réaction agressive. Vous pouvez même vous mettre en colère contre la personne qui vous a fait mal. Mais elle ne représente pas pour vous une menace… ou Satan.
Autre exemple : votre patron vous engueule pour une présumée gaffe. Le soir, vous explosez au visage de votre femme. Mais vous savez qu’elle va vous pardonner. Pour le psychotique, le patron ou sa propre conjointe peuvent représenter une véritable menace.
Et la vie multiplie les vulnérabilités, comme les divorces, les pertes d’emploi, les soucis financiers, les maladies graves, les deuils ou les pertes amoureuses ou amicales. Le psychotique est incapable de faire face à ces situations. Il se sent complètement envahi.
Q: Qu’est-ce qui caractérise ces agresseurs?
HV Gijseghen: Neuf fois sur dix, ils ont une vie ordinaire. Ils cachent habilement leurs tensions intérieures. Leur entourage est souvent surpris de leur geste parce qu’ils fonctionnent bien en société. Mais ils se nourrissent depuis longtemps d’une idéologie reliée à une angoisse identitaire ou existentielle. Ils flirtent souvent avec des idéologies politiques ou religieuses.
Arrive un événement important, qui cristallise cette angoisse, et notre tireur prendra ça très personnel. C’est comme si sa propre identité est menacée. Il va donc passer à l’acte pour régler le problème.
L’agresseur est habituellement incapable de relier le danger qu’il perçoit à sa situation personnelle. Comme il ne reconnaît pas sa maladie, il situe la source du mal à l’extérieur, par projection. Il veut donc éradiquer ce mal.
Certains s’imaginent qu’ils font un geste généreux pour leur peuple ou leur minorité. Quand ils passent à l’acte, leurs victimes peuvent représenter le thème central de leur délire : les femmes, les Noirs, les séparatistes, etc. Ils ne réalisent pas que le Mal qu’ils veulent éliminer en faisant du bien à la Nation, c’est leur mal personnel.
Q: Pourquoi les tireurs ont un bon taux de « succès »?
HV Gijseghen: Parce que leur geste est souvent médité et préparé minutieusement, de longue date.
Q: Peut-on les reconnaître?
HV Gijseghen: Pas le commun des mortels. L’entourage va peut-être se dire qu’il est un peu bizarre, que c’est un solitaire qui vit dans son monde. Un professionnel, habitué à ce genre de cas, pourra le démasquer. Mais il faut avoir de la chance, car le passage à l’acte n’est pas prévisible. C’est souvent après coup qu’on reconnaît la pathologie.
Q: Mais plusieurs tireurs n’annoncent-ils pas leur geste?
HV Gijseghen: Ils laissent souvent des messages à leur entourage ou sur Internet. Ils se complaisent dans une sorte de rumination idéologique qu’ils étalent parfois sur la place publique. Le vrai psychopathe ne se badre pas de ça. Il n’a pas besoin de faire de la littérature avant de passer à l’acte.
Q: Ce sont donc des gens qui paraissent normaux?
G Côté: Ils donnent une apparence de normalité. Certains sont hyper-conformistes.
L’individu qui présente des troubles délirants occupe généralement un emploi, est marié et a même des enfants. Ceux qui posent des gestes violents sont souvent plus mariés et plus autonomes que les moyenne des gens malades.
Q: Tous les tireurs de personnalités publiques sont-ils malades?
G Côté: L’assassin de Kennedy n’était pas nécessairement psychotique.
Q: Ce genre de menace est-elle répandue dans la société?
G Côté: Ce ne sont pas toutes les personnes qui présentent des troubles mentaux graves, comme la dépression sévère, la schizophrénie ou les troubles bipolaires, qui sont dangereux. La science démontre qu’environ 5% à 13% d’entre eux posent des gestes violents, soit une menace ou une agression physique pouvant mener à une poursuite judiciaire.
Mais si on regarde tous ceux qui ont posé des gestes violents, entre 2% et 3% sont attribuables à des troubles mentaux graves. Pour ce qui est des homicides, ce taux passe à 10% sur une très longue période (pour tenir compte d’épisodes comme la guerre des motards).