L’arnaque des garanties prolongées

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Publié dans le Journal de Montréal/Journal de Québec, pages Argent, 23 juillet 2012

On peut lire l’article sur Canoe Argent.

Vous achetez un ordinateur de bureau Gateway avec processeur Core i5-3450 de 3e génération d’Intel pour 849,99$. Le vendeur vous offre une garantie prolongée de 36 mois à 319$.

Vous hésitez. Le vendeur sort son grand jeu. Vous acceptez. Vous venez de vous faire baiser de 319$.

Bienvenue au royaume de la mauvaise foi et de la fausse représentation. Car votre vendeur, en plus de vous mentir éhontément sur vos protections, n’a même pas respecté la loi québécoise de la Protection du consommateur, qui l’oblige à mentionner l’existence de la garantie légale prévue dans cette loi ainsi que la garantie du fabricant. Et à vous lire le court texte d’un petit feuillet de l’Office de la protection du consommateur (OPC) qu’il est censé vous remettre. Ça vous arrivent souvent?

Pratiquement tous les biens de consommation, y compris les voitures, sont couverts par la garantie légale, qui précise qu’un bien doit servir normalement à l’usage auquel il est destiné (un grille-pain doit griller le pain) et pour une durée raisonnable, que la loi ne définit pas. La garantie conventionnelle (celle du fabricant) s’applique même si le détaillant (ou le fabricant) disparaît. L’un ou l’autre doit l’honorer en toute circonstance. En cas de refus, vous n’avez qu’un seul recours : la Cour des petites créances. Bonne chance!

Quand à la garantie prolongée, on est dans le Far West, malgré le changement à la loi québécoise survenu l’an dernier. Est-ce si grave? « Pour qu’on soit obligés de légiférer dans un domaine, c’est que ça ne va pas bien » m’explique le porte-parole de l’OPC, Jean Jacques Préaux. « Votre utilisation du mot foutoir s’applique à merveille » complètent les gens de Protégez-Vous et de l’Union des consommateurs.

C’est que les garanties prolongées représentent de 10% à 33% du prix du produit. Souvent plus. Pourtant, entre 40 et 75% des appareils électroniques sont vendus avec une telle garantie. Au Royaume-Uni, on a déjà vu un radio-réveil en vente pour 19£ (environ 30$) dont la garantie prolongée coûtait 20£. « Aussi bien acheter deux radios au cas où un des deux brise », rapporte Eric Earnum, éditeur de Warranty Week, un site web destiné à l’industrie des garanties prolongées.

De plus, une garantie prolongée typique dure cinq ans. Mais la garantie légale est de trois ans. Vous payez pour une « protection » réelle de deux ans… souvent pour rien. Aux États-Unis, selon Consumer Reports, seulement 8% des téléviseur de 30 à 36 pouces avaient dû être réparés trois à quatre ans après l’achat. Les ordinateurs portatifs tombent plus souvent en panne (43%), mais elles surviennent presque toujours après la fin de la garantie prolongée (15% à 22% à la 4e année selon Gartner). M. Préault s’est déjà fait offrir une garantie prolongée de 8$ sur une clé USB. Comment ça se brise, déjà?

Partout, la garantie est truffée d’exclusions: vous échappez le bien, vous l’utilisez en « milieu humide » (un iPhone qui cesse de fonctionner alors qu’il pleut!), la réparation se fait au Mexique (les frais de transport ne sont pas couverts ou excèdent parfois le prix du produit), certains composants (le silex d’une cafetière), l’usure normale (les freins d’une voiture), etc. Elles sont rarement claires. Parfois, les clauses, écrites dans un langage juridique incompréhensible et en tout petits caractères, se contredisent!

La garantie prolongée est une assurance. Les détaillants l’assument eux-mêmes, par une filiale ou la refilent à un assureur. Quand Dumoulin a fermé, l’an dernier, Centre Hi-Fi n’a racheté que la marque de commerce, l’inventaire et le système informatique. Argent avait rapporté que les garanties étaient regroupées dans une société-soeur de Dumoulin. À la faillite, ce sont les créanciers qui ont empoché entre 2 et 5M$. Les clients ont tout perdu.

Le pitch de vente du représentent tourne souvent autour de la fiabilité du produit. Mais, du coup, il vous presse à acheter une garantie en cas de bris. S’il n’est pas aussi fiable qu’il le dit, pourquoi l’acheter?

Pour enrichir le marchand. Sur une garantie prolongée de 100$, il encaisse 50$! Selon Eric Earnum, 30$ vont à l’administration et seulement 20$ aux éventuelles réparations. En fait, les marchands font plus d’argent avec la garantie prolongée qu’avec le produit lui-même.

Dans certains cas, pour chaque dollar de garantie, 70 cents vont au marchand et 30 à l’assureur. Selon BusinessWeek, les marges de profit liées aux garanties prolongées du marchand Circuit City se situent entre 50% et 60%, soit 18 fois les marges des produits couverts. Cette marge est de 70% chez Apple, Dell et Gateway, et 90% chez Kodak! Des analystes financiers affirment qu’elles représentent 50% des profits chez Best Buy (soit 650M$, commissions sur les ventes comprises). Pour Eric Earnum, la chaîne La Source fermerait ses portes sans cette garantie.

Business Week écrit que les garanties prolongées représentent 5% des ventes des détaillants américains mais 45% de leurs profits. Chez nous, le Conseil québécois du commerce de détail ne collige pas ces statistiques.

Chez Best Buy, une garantie prolongée pour un écran plat de 2000$ rapportera 160$ à l’assureur et 240$ au marchand. Pour un bris qui ne surviendra probablement jamais. Pourquoi ne pas garder ces 400$ dans vos poches?

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