Redevances minières: Partager ou tuer le veau d’or?
Publié dans L’Actualité économique du Plan Nord, juin 2013, page 12
On peut lire l’article ici.
Les mines n’ont jamais fait autant parler d’elles depuis l’époque de Duplessis, qu’on accusait de vendre le fer de la Côte-Nord aux Américains pour une cenne la tonne. L’industrie minière paie-t-elle aujourd’hui sa juste part pour nos ressources non-renouvelables ? Alors que la guerre de chiffre subjugue tout le monde, le gouvernement Marois dépose un nouveau régime minier qui ne satisfait personne.
Québec joue à l’équilibriste avec ce nouveau régime. Le Parti Québécois avait promis de hausser les redevances (de 388M $ sur cinq ans) en campagne électorale. La réalité, alors que s’amorce un cycle baissier du prix des métaux, fait passer ces chiffres à 50M $ en 2015 et entre 73 et 201 M $ en 2020. Le gouvernement Marois martèle qu’il respecte ses engagements électoraux, mais a clairement entendu le message de l’industrie minière, qui craint comme la peste toute hausse additionnelle de taxes.
Or, sur le front des investissements, qui n’ont jamais été aussi faibles depuis 2008, les minières ont le pied sur la pédale du frein. Ainsi, Cliffs Natural Resources et Rio Tinto ont stoppé leurs projets d’expansion, Cliffs a fermé son usine de boulettes de Sept-Îles, Arcelor a suspendu la sienne prévue à Port-Cartier, Gaz Métropolitain a écarté son projet de gazoduc vers la Côte-Nord et le CN a relégué aux calendes grecques son chemin de fer entre la fosse du Labrador et Sept-Îles.
Pourtant, l’impression de dilapidation des ressources demeure chez Joe Public. « L’industrie traîne un lourd passif et l’opinion publique est accrochée aux histoires anciennes, admet Éric Tétreault, porte-parole d’Arcelor-Mittal, la plus importante minière en sol québécois. Mais tout a changé et nous devons le démontrer. »
Avec ses 320 000 employés dans 60 pays, des revenus de 94G $US et une production annuelle de 130 millions de tonnes, Arcelor-Mittal, une société du Luxembourg cotée à la Bourse de New York, est numéro un mondial, notamment dans le fer. Elle est responsable de 40 % de la production canadienne et sa mine du mont Wright, sur la Côte-Nord près du Labrador, produit annuellement 15 millions de tonnes de concentré de minerai de fer. S’ajoutent neuf millions de tonnes de boulettes d’oxyde de fer produites à Port-Cartier. La minière a surpris l’an dernier : elle a révélé avoir payé 500 M $ de redevances au gouvernement du Québec entre 2010 et 2012, plus 500 M $ en taxes et prélèvements sur la masse salariale. « Nous sommes de loin le plus important contributeur de notre industrie, reprend Éric Tétreault. Nous avons choisi d’être transparents pour enrichir le débat. »
VIRAGE HISTORIQUE
En 2010, le gouvernement Charest adopte une réforme majeure du régime minier. Au menu : l’imposition d’une taxe uniforme de 16 % sur tout profit minier, calculée mine par mine. « Les minières paient désormais davantage de redevances. Mais l’industrie n’a pas eu le temps de le démontrer », explique Pierre Lasserre, professeur à l’UQAM et coprésident du forum de mars dernier sur les redevances minières.
« Le gouvernement libéral a fortement amélioré les choses avec le concept mine par mine, qui a réduit l’évasion fiscale. Mais les redevances actuelles sont basées sur les profits. Les minières ne paient toujours rien lorsqu’elles prélèvent la ressource. Ça dérange bien des Québécois », commente Ugo Lapointe, porte-parole de la Coalition pour que le Québec ait meilleure mine.
« C’est anormal qu’une entreprise commerciale ne paie pas pour sa matière première, ajoute Jacques Fortin, professeur de comptabilité à HEC-Montréal et coprésident du forum. Pourquoi un type d’industrie peut se soustraire à cette obligation alors que toutes les autres doivent s’y soumettre ? On nous rétorque que certaines entreprises seraient moins rentables ou carrément dans le rouge. Tout le monde peut dire ça ! »
« Mais on veut en payer, des redevances, rétorque Éric Tétreault. Personne ne remet ça en question ! Cela dit, les prélèvements fiscaux moyens atteignent 41 % (taxes directes, sur la masse salariale et impôt des sociétés, à tous les gouvernements). C’est beaucoup plus qu’ailleurs au Canada. »
L’industrie digère donc très mal le projet de redevances du gouvernement Marois. Québec ajoute ainsi deux paliers à la taxation actuelle de 16 % des profits miniers : au-delà de 35 % de profits, l’imposition passe de 16 % à 22 % ; de 50 % à 100 % de profits, l’impôt grimpe à 28 % (le PQ avait promis une taxe uniforme de 30 %). S’ajoute la redevance ad valorem, qui impose la valeur de la ressource à l’extraction, de 1 % sur les premiers 80M $ de valeur de production. Celle-ci passe à 4 % par la suite (le PQ avait promis 5 %). De plus, la minière paiera uniquement le niveau de taxation le plus élevé (valeur brute ou profits). Pas tout à fait le régime hybride projeté au départ.
LES MINES SONT UNIQUES
« Avant d’en arriver à un projet minier qui paie des redevances, il faut attendre de 10 à 20 ans, explique Valérie Fillion, directrice générale de l’Association de l’exploration minière du Québec. Pendant toutes ces années d’exploration et de préparation, les entreprises paient des taxes directes ou sur la masse salariale, des impôts, embauchent des fournisseurs et du personnel. »
Des experts rétorquent qu’elles bénéfi cient, durant cette période, d’avantages fiscaux qui couvrent jusqu’à 50 % de ces coûts.
« Lorsqu’un investisseur évalue le potentiel d’une mine, il compare le Québec avec le reste de la planète, ajoute Josée Méthot, P.D.G. de l’Association minière du Québec. On ne peut pas changer le régime tous les trois ans, reprend-elle. Ça crée de l’instabilité, que les investisseurs détestent. »
C’est exactement le message du grand patron de Iamgold, Steve Letwin, qui affirmait, en mars, que la société allait stopper le projet d’expansion de 1 G $ de sa mine Niobec si Québec allait de l’avant. Chuck Jeannes, P.D.G. De Goldcorp, pourrait aussi bloquer l’expansion de sa mine Éléonore, qui doit démarrer la production l’an prochain. Goldcorp y investit 1,7 G $. La hausse appréhendée pourrait coûter jusqu’à 500 M $ à Goldcorp.
Ce discours des minières est perçu par certains comme une forme de chantage.
« Certaines minières investissent pour longtemps dans des endroits diffi ciles, comme Xstrata Nickel et sa mine de Raglan, dans l’extrême nord, ou Inmet et son site de Troilus à la baie James, répond Ugo Lapointe. Le potentiel géologique du Québec est un des plus attrayants au monde et ce n’est pas moi qui le dis, mais l’Institut Fraser. »
Certes, les salaires sont élevés et la ressource est moins accessible que le pétrole saoudien, le cuivre chilien ou le diamant sud-africain. Mais nos infrastructures et notre expertise sont de classe mondiale, notre système de santé est assumé par les contribuables et non les employeurs, l’énergie est abondante et bon marché. Et, surtout, notre régime politique est stable.
« Pas besoin d’engager une milice paramilitaire pour protéger les exploitations, renchérit Jacques Fortin. Ou de verser des pots-de-vin aux fonctionnaires et aux policiers. Le risque de sécurité vaut littéralement une fortune pour les minières. Et nos impôts corporatifs se rapprochent des taux des paradis fi scaux. »
« Le drame, avec les mines, c’est qu’il n’y a pratiquement pas de concurrence, donc peu de possibilités d’enchères sur les prix, ajoute M. Lasserre. C’est pour cela qu’il y a des redevances. Mais l’industrie est mondialisée et place les États en concurrence entre eux. »
Pourtant, le Québec n’est pas le Congo ! « Vous seriez surpris de voir à qui on nous compare ces jours-ci. Certains préfèrent le Liberia au Québec », répond Josée Méthot, qui glisse que le Québec, éloigné des principaux acheteurs, ne représente que 3 % de la production mondiale.
« Le problème, c’est le timing, ajoute Éric Tétreault. Déjà, quatre projets miniers ont été abandonnés depuis un an. Sur fond de moratoires sur le gaz de schiste et l’uranium, on se demande si le Québec est ouvert aux affaires. Le simple fait qu’on discute, dans tous les congrès miniers, de la fi scalité québécoise est de mauvais augure. »
Pour reprendre une citation célèbre de Jean Chrétien : il n’y a rien de plus frileux qu’un million de dollars.
LE MEILLEUR SYSTÈME ?
Jean Fortin persiste et signe : le principe de redevances ad valorem représente le meilleur système du point de vue comptable, car le calcul du prix de vente à partir de la matière première extraite du sol est moins complexe à vérifier que les redevances sur les profits.
La redevance ad valorem est mieux adaptée à la réalité québécoise, disent les experts, mais moins transparente. « Dans certains cas, les chiffres fournis par les minières laissent songeur. Il y a parfois connivence entre entreprises et vérificateurs. On pourrait croire que certaines données sont trafiquées », dit Pierre Lasserre.
Josée Méthot affirme que l’industrie n’a rien à cacher au gouvernement, qui embauche ses propres vérificateurs. « Ils passent chaque facture au peigne fin. Ces critiques relèvent du mythe. »
Pourquoi les minières refusent-elles alors de divulguer tous les chiffres, mine par mine ? L’industrie l’a fait de façon globale. Mais certains joueurs hésitent parce que leurs mines sont monopolistiques. Divulguer permettrait aux compétiteurs de connaître des données financières sensibles.
Aux États-Unis, la loi de Dodd-Frank, issue des réformes pilotées par l’administration Obama pour mettre de l’ordre dans Wall Street, après la crise de 2007-2010, obligera les minières à divulguer tous les montants versés aux gouvernements, mine par mine, d’ici 2014. Et la majorité des minières sont cotées à la Bourse de New York. Éric Tétreault y voit du positif : « Il faut jouer franc jeu pour que les gens comprennent ce que nous faisons. »
Lors du forum sur les redevances, plusieurs représentants des minières étaient discrètement ouverts aux redevances ad valorem. Du moment qu’elles soient raisonnables et modulées en fonction du cours des métaux… « Ce ne sont pas les redevances qui ferment les mines, mais les cycles du prix des métaux et des taux de change », ajoute Ugo Lapointe.
TAXER LE SURPROFIT
Québec entend donc taxer le surprofi t. Un scénario qui fait hérisser le poil des patrons des minières, mais qui est chaudement défendu par Yvan Allaire, professeur à HEC Montréal et à l’UQAM. Il n’est pas intimidé par les menaces d’investir ailleurs, car le capital abonde encore pour les projets miniers : « Car les taux d’intérêt sont au plancher et notre facteur de risque à très long terme est peu élevé comparé aux pays à faible sécurité. »
« Avec une redevance ad valorem, on a des revenus réguliers, constate Pierre Lasserre. Mais taxer les profits rapporte beaucoup plus à l’État, sauf quand les cycles des métaux sont à la baisse. Le peuple subit alors les mêmes risques que les minières. »
Jacques Fortin conclut en soulignant qu’il faut se demander à qui profi te l’exploitation de nos ressources. « Il se fait peu de deuxième et troisième transformation au Québec. Notre minerai est acheminé vers les usines de pays concurrents alors que nous devons gérer le risque environnemental. Aussi bien faire beaucoup de fric avec nos mines… »
LOIN DE LA COUPE AUX LÈVRES
Outre une levée de boucliers le jour de l’annonce du projet de nouveau régime minier du gouvernement Marois, l’industrie s’est fait depuis assez discrète. Car ce projet nécessitera une loi, qui sera proposée par un gouvernement minoritaire. Celui-ci aura donc besoin de l’appui de l’opposition, qui se fait drôlement tirer l’oreille.
Les chances sont minces pour que le régime actuel, voté sous le précédent gouvernement, soit modifié avant les prochaines élections. Et les gouvernements minoritaires ont une durée de vie habituellement moins longue que ceux qui « ont les deux mains sur le volant », une expression chère au prédécesseur de Pauline Marois. N