Mode à vélo: Pas question de lâcher mes escarpins!
Publié dans Vélo Urbain, juillet 2013, page 20
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Photo: Stéphanie Lachance
Rues Peel ou University, boulevards Maisonneuve ou René-Lévesque, Square Victoria. Il est 8 h 15. Le soleil de la fin mai brille. Avec leurs ensembles signés Judith Desjardins, leurs robes Marie Saint Pierre ou Martin Lim, et leurs vertigineux escarpins Christian Louboutin ou Jérôme C. Rousseau, les femmes se fraient un passage sur leurs vélos de ville, hybrides et BIXI dans l’intense circulation matinale. Elles partagent le bitume avec des hommes en complet Philippe Dubuc ou Yves Jean Lacasse.
Look soigné, vêtements griffés, fausse nonchalance, les financiers, avocats et professionnels des deux sexes offrent un spectacle réjouissant à l’heure de pointe ou entre deux rendez-vous d’affaires dans le centre-ville montréalais. Il y a 10 ans, c’était l’exception. Aujourd’hui, le défilé de mode cycliste est permanent. Surtout depuis l’arrivée du BIXI.
«C’est une bonne nouvelle. Ça démontre que le vélo se démocratise. Pas besoin d’être habillé comme si on pratiquait le Tour de France pour se rendre à destination. On peut enfiler notre tenue du jour avant d’enfourcher le vélo », commente Julia Vallelunga, chargée de projets en urbanisme chez Convercité et chroniqueuse mode et beauté pour MSN.ca.
Elle considère que le phénomène est une bonne nouvelle, car cela prouve que le vélo est véritablement en train de s’instaurer comme un mode de transport à part entière. « Je ne me change jamais pour en faire. C’est mon moyen de transport privilégié. En fait, je ne fais jamais du vélo ; je l’utilise. La nuance est importante. La bicyclette, pour moi, ce n’est pas un sport ou un loisir. C’est un moyen de transport. »
Changement de cap
Pour Julia Vallelunga, les femmes en talons hauts et tailleurs Gucci ou les hommes cravatés qui mettent leur Samsonite sur leur porte-bagage représentent un changement de cap important : « La génération précédente s’habillait avec des vêtements adaptés, qui évacuent la sueur, pour faire du vélo. C’est une approche avant tout sportive. Aujourd’hui, on s’habille corporate avant d’enfourcher sa bicyclette ou son BIXI. On n’a pas besoin de s’acheter des vêtements ou des bécanes performantes pour se rendre à destination. »
En Europe, ça fait longtemps que les professionnels pédalent. Le phénomène vient juste de s’implanter ici sur une plus vaste échelle, ajoute-t-elle.
Julia Vallelunga révèle aussi que, dans certains milieux, il y a même un débat assez rigolo sur le sujet : «Certains se moquent de ceux qui se couvrent de façon assez intense de vêtements techniques pour faire du vélo. Mais ces derniers rétorquent qu’ils cherchent avant tout le confort. C’est vrai que, quand vous avez à faire une dizaine de kilomètres pour aller au bureau et qu’il y a des pentes ou la canicule, on doit tenir compte du facteur sudation. Chacun est différent sur ce plan. Il n’y a pas de clé pour s’habiller convenablement. Mais la plupart des gens surestiment le défi : ça peut demeurer très simple. »
«Ça dépend à quelle vitesse on pédale, aussi. Si on adopte un rythme proche de la compétition, on va forcément suer. Il n’est pas interdit de se changer en arrivant au bureau », commente Andrée-Anne, la blogueuse Jelly du croustillant blogue les fashionbiches.com.
Le blogue a récemment publié un billet rigolo sur la manière de flirter à vélo (http://bit.ly/Vk3Mix).
Andrée-Anne considère qu’il est tout à fait possible d’être au top sur son vélo. À condition de recourir à certains trucs. Elle constate que, à l’arrivée, les hommes vont souvent changer de chandail et que les femmes vont troquer leurs souliers plats pour des escarpins : « Encore que les talons, c’est super pour le vélo. Ils s’accrochent parfaitement aux pédales. Mais je ne conseille pas les semelles compensées. » Elle juge que la jupe se prête parfaitement aux déplacements sur deux-roues, à cause de la liberté de mouvement. «Mais elle ne doit pas être trop serrée ou trop longue, dit-elle. Juste en haut du genou, c’est parfait. Quand c’est trop long, la barre risque de monter dans le vêtement, ce qui ne donne pas un look fameux. J’ai aussi déchiré des robes ou des jupes trop longues qui s’accrochaient dans les pédales. »
S’organiser
Certains types de tissus sont particulièrement adaptés pour le vélo. «Les vêtements mous, c’est idéal, mais pas très chic, poursuit Andrée-Anne. Le jean, c’est mieux, mais pas avec des jambes trop larges ; il ne faut pas qu’elles se coincent dans la chaîne. Les vêtements qui froissent sont à déconseiller : ils absorbent trop la sueur. Les collants et leggings sont des incontournables. Mais pas les petites vestes trop ajustées, qui déchirent aux épaules. Ou les manteaux de cuir, trop chauds et qui ne respirent pas. On a l’impression de pédaler dans un sac de plastique ! Le tailleur Chanel, c’est numéro un, mais je mettrais le veston dans mon panier s’il est très ajusté. Sinon, vos mains ne se rendront pas au guidon… »
En fait, clame Andrée-Anne, «toute bonne fille doit avoir un panier sur son vélo ». Dans le sien, on y trouve en permanence une paire de souliers plats, un chandail chaud et long en tricot et une paire de leggings en cas de coup de froid, surtout si elle déambule en jupe. Évidemment, on met au fond ce qui se froisse le moins. «Le sac à main ira sous la blouse et le veston, c’est certain », dit-elle.
Elle se réjouit du fait que, désormais, Montréal est «fashionnistique» à vélo. «Certaines pistes cyclables ressemblent désormais à des catwalks. À cela s’ajoute la mode des fixies, dont les adeptes ont leur look. »
Pour Andrée-Anne, le vélo lui-même est un élément mode. « Il fait partie du costume. Il exprime un choix de vie. C’est une extension du style, surtout chez les hommes. Il faut dire que le BIXI a changé bien des choses en matière de mode et de vélo. Parce que c’est plus convivial, plus pratique et plus rapide que le métro ou la voiture », commente-t-elle.
S’adapter sans se «mésadapter»
La blogueuse met en garde certaines personnes contre les écarts de look. «Avoir l’air d’un coureur du Tour de France pour se balader tranquillement en ville un dimanche après-midi, ça ne marche absolument pas. Les gens qui se couvrent intégralement de lululemon non plus. En fait, le vélo doit refléter ce que vous portez normalement. »
Cette dernière considère que l’habitude du vélo d’hiver s’installe également tranquillement chez les Montréalais. Et qu’en faire par temps froid, c’est facile : « Il y a de super beaux foulards, tuques et chapeaux. Les bottes sont à la mode, surtout la petite botte lacée, les bottes hautes en cuir. Elles sont fashion et chaudes. Les combinaisons sont souvent intéressantes à vélo. Tu peux avoir un look super strict mais avec de très belles lunettes. »
Andrée-Anne a beaucoup de difficulté avec le casque de vélo, dont le style technicosportif s’agence mal : «C’est très difficile d’avoir un look urbain avec un casque aéro-dynamique. Et certains casques sont carrément ridicules, comme ceux qui ressemblent à des melons d’eau ou à des animaux, qui font très 1999. Il y a bien les casques de skate, et leur petit look bum, surtout pour les gars, mais leur protection est moindre. Et ils s’agencent mal avec le petit tailleur Chanel. Certains modèles de casque sont magnifiques, comme ceux qui rappellent les chapeaux d’équitation, mais ils sont introuvables. »
Évidemment, plusieurs femmes délaissent le casque à cause du syndrome du cheveu aplati : « Je ne connais pas une fille de mon entourage qui porte le casque, désolée, ditelle. Elles ne peuvent tout simplement pas les agencer avec ce qu’elles ont sur le dos. On a besoin d’un créateur de casque de talent, qui proposera un modèle pas trop gros, sophistiqué, avec un design classique, neutre, sans couleurs flashy. »