La nouvelle a fait le tour du monde ces jours derniers: la Chine forcera, dès 2019, l’installation d’une puce RFIDsur chaque voiture circulant sur son territoire, pour mieux gérer le trafic, affirme le gouvernement. Pour les défenseurs des droits de la personne, la Chine veut surtout surveiller ses citoyens. Typique d’une dictature, n’est-ce pas ?
Eh bien… ça se fait déjà chez nous.
Dans l’Empire du Milieu
C’est connu, la Chine est devenue un enfer autoroutier. En octobre 2015, un embouteillage monstre sur une autoroute de 48 voies (oui, 48 voies) près de Pékin, au retour des vacances de la fête nationale, s’est étiré sur des dizaines des kilomètres.
Certains embouteillages durent plusieurs jours! Pas surprenant: dans certaines régions urbaines chinoises, le volume du trafic annuel augmente de 40%, comparativement à… 1% au Québec.
Plus de 30 millions de voitures sont vendues annuellement en Chine selon le Wall Street Journal, comparativement à 18,5 millions aux États-Unis et 2 millions au Canada, selon DesRosiers Automotive Consultants (le parc automobile québécois compte 4,5 millions de véhicules).
Depuis dix ans, la Chine a ajouté plus de 35 000 km d’autoroutes reliant les 200 plus grandes villes du pays. D’ici 2030, le réseau autoroutier passera à 265 000 km. Malgré tout, les bouchons se multiplient. Le gouvernement chinois veut donc mater ce monstre.
Pour punir les conducteurs qui conduisent mal ou refusent les itinéraires alternatifs suggérés sur les panneaux routiers dynamiques, la Chine va donc rendre les puces RFID obligatoires sur les pare-brise des voitures, afin de pouvoir surveiller, en temps réel, les mouvements de tous les véhicules sur son territoire.
Le système, qui fait appel à des capteurs installés le long des routes, permettra aussi de retrouver les véhicules volés et de diminuer la pollution atmosphérique, véritable fléau en Chine. Le programme doit aussi mousser la production locale de microprocesseurs et la sécurité routière.
Chaque année, on enregistre plus de 260 000 décès sur les routes chinoises, selon l’Organisation mondiale de la santé. Lisez-nous ici pour connaître quels sont les autres pays où les routes sont aussi, sinon plus risquées .
La Chine aime surveiller ses citoyens…
La Chine aime surveiller ses citoyens. Par exemple, pour lutter contre la pollution sonore, Beijing a installé une trentaine de caméras dotées de détecteurs acoustiques à ses carrefours stratégiques. Elles identifient les intempestifs du klaxon et enregistrent les images (y compris la plaque d’immatriculation), transmises illico à la police.
Cette dernière envoie une amende de 21 dollars au conducteur fautif. Dire que les radars cinémomètres sont contestés avec succès devant les tribunaux québécois…
La Chine contrôle déjà les mouvements de dizaines de millions de voitures grâce à un système de caméras numériques installées dans des endroits stratégiques, qui captent les plaques d’immatriculation.
À Beijing, un réseau de caméras digne de la série télé Persons of Interest compare instantanément visages et plaques d’immatriculation avec une liste noire de citoyens jugés délinquants, et lance une alerte en cas de match.
Dans la province du Xingjian, frappée par des attaques terroristes islamiques et autonomistes, l’installation de systèmes de surveillance GPS est désormais obligatoire, rapportait le journal The Guardian l’an dernier. Les mouvements de tous les véhicules, y compris la machinerie lourde, sont désormais suivis en temps réel par satellite.
… mais elle n’est pas la seule!
Plus près de chez nous, la Californie annonçait en mai la vente de plaques d’immatriculation dotées de puces RFID similaires à celle des liseuses Kindle d’Amazon. Le programme expérimental de lutte contre le vol automobile sera initialement implanté dans la région de San Francisco. Chaque plaque coûtera 700$US, plus des frais d’utilisation mensuels de 7$US.
Les défenseurs des droits civiques estiment que l’État californien aura ainsi les moyens d’espionner les allées et venues de ses citoyens. Pourtant, aux États-Unis, les gouvernements doivent obtenir un mandat d’un juge.
Mais pas les employeurs. L’an dernier, le magazine The Atlantic rapportait que nombre d’entre eux surveillaient les allées et venues de leur personnel à partir de GPS installés dans leurs voitures ou leurs téléphones, souvent à leur insu.
Les patrons veulent surtout savoir si leurs employés arrivent à l’heure au bureau, ou s’ils rapportent fidèlement le kilométrage qui leur sera remboursé. Mais, souvent, ils continuent de colliger des données hors des heures de travail.
Est-ce normal que votre patron sache où vous passez vos vacances, si vous fréquentez des bars gais, des cliniques d’avortement ou une secte religieuse? The Atlantic rapporte du coup les résultats d’un sondage de la firme Tsheets, qui offre des services de surveillance d’assiduité: le tiers des sondés affirment que leurs déplacements sont surveillés 24 heures par jour par leurs patrons grâce à une technologie GPS à bord des véhicules.
En 2015, une femme a d’ailleurs poursuivi son employeur parce que ce dernier l’espionnait grâce à l’application Xora, qui pouvait même déterminer si elle respectait les limites de vitesse!
Votre voiture vous surveille – oui, vous aussi
En janvier, le Journal Gazette de l’État d’Indiana donnait l’exemple d’un conducteur d’une Honda Fit louée qui a donné son consentement à ce que Honda surveille les déplacements du véhicule, jugeant sa vie plutôt ennuyante. «Honda peut donc déterminer ses habitudes de conduite, où il fait ses courses, la température pendant ses sorties, et même son poids», rapporte le journal, qui ajoute que les habitudes de millions d’Américains sont ainsi surveillées par tous les constructeurs automobiles – à commencer par Tesla…
… sans qu’ils le réalisent: car l’autorisation de partager ces données est souvent inscrite en très petits caractères dans le contrat de vente ou de location. Honda n’a d’ailleurs pas précisé au journal ce qu’elle faisait de ces données.
GM fut le premier constructeur à le faire, depuis 1996 avec son système OnStar. La compagnie affirme qu’elle demande systématiquement le consentement de ses clients. De fait, un jugement de la Cour suprême américaine de 2012 confirme leur caractère privé, sans ce fameux consentement.
Les entreprises automobiles clament que ces données permettent d’améliorer la conception des modèles futurs, notamment pour la sécurité. Mais elles sont massivement vendues à des tiers (assureurs, agences gouvernementales ou de marketing, commerçants), affirmait le New York Times l’an dernier.
Car les voitures peuvent désormais enregistrer les mouvements de vos yeux sur la route, le poids des occupants des sièges avant, avec qui vous parlez au téléphone, les stations de radio que vous écoutez, les sites web que vous fréquentez, les produits que vous achetez, tout ça grâce à des capteurs et à la connexion Bluetooth avec votre téléphone.
Aucune loi n’encadre l’utilisation de ces données.
Autos connectées et téléphones intelligents: vous n’avez plus de vie (privée)
Ces questions préoccupent beaucoup les avocats des constructeurs automobiles. Tellement qu’une société, Otonomo, fait son pain et son beurre en les guidant au travers de la jungle des lois des différents pays. Daimler a même un département complet dans ce domaine!
Il y a trois ans, plusieurs médias américains rapportaient l’existence d’un programme de surveillance des plaques d’immatriculation en temps réel ciblant des millions de voitures, mené par le FBI et la DEA, dénoncé comme de l’espionnage par l’Union américaine des libertés civiles (ACLU).
Le journal The Observer avait même titré: «Prenez le métro, car le gouvernement traque votre auto.» Le Guardian a écrit que le gouvernement américain se dirigeait ainsi vers l’instauration d’un registre national de tous les déplacements automobiles.
En janvier 2017, le magazine Forbes faisait la recension de plusieurs cas de surveillance policière encadrée par des mandats, effectuée avec les systèmes OnStar et Find My iPhone d’Apple. Les policiers ont pu enregistrer déplacements et conversations pour pouvoir arrêter des trafiquants de drogue.
L’an dernier, le président Trump a signé une loi contournant certaines protections concernant les données des consommateurs récoltées en ligne, rapporte le New York Times. «Vous n’avez plus de vie privée avec un téléphone intelligent», conclut Laura Schewel, fondatrice de StreetLight Data, qui collige des données sur les habitudes de conduite des Américains pour les urbanistes et les détaillants.