Cinq géants du détail qui seraient encore parmi nous s’ils avaient été davantage à l’écoute de leur clientèle

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Publié sur le blog de Potloc.com, 19 octobre 2018

On peut lire l’article ici.

Après 130 ans d’existence, le 14 octobre, Sears s’est placée sous la loi américaine de la protection contre les créanciers. Quelle leçon doit-on tirer de cette mégadéconfiture ? Ne jamais cesser d’écouter vos clients…

Certains analystes boursiers considèrent la faillite de Sears comme l’aboutissement d’un déclin de 50 ans. Au fil des ans, l’ancien géant de l’économie américaine a dû larguer son iconique filiale canadienne tout comme ses célèbres marques Crasftman (outils garantis à vie), Diehard (batteries) et Kenmore (électros), ainsi que sa tour de Chicago, qui fut un temps la plus haute du monde. Sears fut aussi éjectée de l’indice Dow Jones et fut ravalée au rang de penny stock, enchaînant fermetures de magasins à la chaîne pour survivre. En vain.

1 – SEARS

Quand Sears a lancé son catalogue, en 1888, la majorité des gens fabriquaient leurs propres vêtements et leurs meubles. Sears a introduit la consommation de masse en vendant les premiers produits manufacturés. Les lave-linge et laveuses à vaisselle ont bouleversé la vie domestique. Sears a fait exploser suburbia, ces vastes banlieues de l’Amérique d’après-guerre en renforçant le succès du concept de centre d’achats. Sears a longtemps été le plus gros employeur des États-Unis. Sears était, il n’y a pas si longtemps, Walmart et Amazon combinés.

Mais Sears a complètement raté le virage Internet, négligé d’investir dans sa marque de commerce comme le rival Macy’s et misé sur des fusions ratées avec Kmart et Lands End (revendue à perte en 2014, Lands End connaît aujourd’hui le succès). Depuis dix ans, les  clients désertent en masse ses gigantesques magasins. Dans certains, on suspendait récemment des draps pour masquer les allées vidées de leurs produits.

En fait, les dirigeants de Sears n’ont jamais reconnu la menace du web ni la montée des bannières face à des magasins généralistes au décor dépassé, écrit le Globe&Mail.

Fortune en rajoute et cite trois facteurs clé ayant accéléré le déclin de Sears : le déni de ne plus être le leader, le syndrome d’insularité, qui confine les grands patrons à une tour d’ivoire isolée des mauvaises nouvelles, et la paralysie, alors que de vastes segments de l’empire Sears étaient trop occupés à protéger leurs acquis plutôt que d’organiser la nécessaire transformation de la compagnie.

2 – EATON’S

Fondée en 1930, Eaton’s fut la plus grande chaîne de magasins au Canada. Elle contrôlait presque 60% du marché des grands magasins en 1930. Une part qui s’est écroulée à moins de 11% en 1997. Eaton’s fit faillite en 1999, après 130 ans d’existence. Avant le tournant du siècle, tout le monde, au Canada, connaissait ou avait acheté chez Eaton’s.

Une clé de son succès : l’iconique catalogue, lancé en 1884, largué en 1976. C’était le livre ayant le plus grand tirage au pays. Son abandon causa la perte de 9000 employés au département des commandes à distance. Grâce au catalogue, on pouvait commander n’importe quoi, y compris des maisons en kit !

Eaton’s fut frappé de front par l’arrivée de Walmart au Canada, et par la filiale Zellers de son ennemi juré, La Baie. La famille Eaton a multiplié les mauvaises décisions, déconnectée de la clientèle et des nouvelles réalités du commerce de détail. Ses department stores subissaient plus férocement la compétition de bannières aux magasins somptueux comme ceux de La Baie, offrant une expérience de magasinage à des années-lumière du décor ringard des grands magasins issus d’un autre siècle. Aujourd’hui, le nom Eaton subsiste grâce aux centres d’achats des centres-ville de Montréal et de Toronto, adossés aux anciens magasins phares de la chaîne. Y ont survécu des boutiques qui ont précipité le déclin d’Eaton’s !

3 – AILES DE LA MODE

Les Ailes de la Mode furent longtemps le détaillant le plus célèbre du Québec… jusqu’à l’ouverture du magasin phare du centre-ville de Montréal, logé dans l’ancien local du déchu Simpson’s. Aménagé au coût de plusieurs millions, cet emplacement devait être l’icône de la chaîne. Il a plutôt précipité son déclin.

Pourquoi ? Le gigantesque magasin de 223 000 pieds carrés avait été aménagé à des dizaines de mètres de la vibrante rue Sainte-Catherine, la principale rue marchande de la métropole. Il était caché derrière plusieurs boutiques : les clients avaient perdu le réflexe d’aller y magasiner. Les produits étaient trop chers et mal ciblés. Le géant Fairwheather a acheté la chaîne malmenée en 2004, pour la transformer en détaillant de mode bas de gamme, avec un succès relatif.

4 – BLOCKBUSTER

En 2004, Blockbuster affichait des revenus de 6 milliards (G)$US. Netflix n’était, cette année-là, qu’une startup sans prestige et financièrement dans l’eau chaude. Ses dirigeants offrent alors de mousser l’offre en ligne de Blockbuster… qui a refusé, considérant sans avenir le modèle d’affaires de Netflix. Six ans plus tard, Netflix vaut 2,2 G$US et Blockbuster est en faillite. Aujourd’hui, la capitalisation boursière de Netflix dépasse les 145 G$US…

Que s’est-il passé ? Les dirigeants de Blockbuster n’ont jamais vu venir le déclin du DVD (et de sa location) au profit du streaming. Le refus d’un partenariat avec Netflix aurait pu métamorphoser Blockbuster, qui aurait conservé sa position dominante. Le confort du statu quo était trop fort.

5 – PRISUNIC

À une certaine époque, Prisunic était le symbole par excellence du magasin populaire en France. Même la star Renaud a consacré son statut dans ses chansons. Créée en 1931, la société a embauché jusqu’à 14 900 personnes et exploité 130 magasins.

En 1997, la chaîne disparaît, acquise par son concurrent de toujours, Monoprix. Prisunic n’était plus dans le coup. En effet, la part de marché de ce type de magasin décline, au sein du commerce de détail français. En 1970, elle était de 3,9%, contre 4,2% pour les supermarchés. En 1995, les premiers occupent 0,6% du paysage, contre 15,5% pour les seconds, selon LSA Commerce & Consommation. Les clients désertent pour des magasins jugés moins ringards et mieux pourvus en marchandises. Monoprix comprend le message et opère, avec succès, un repositionnement vers une image d’épicerie fine parisienne. En 2013, la bannière est récupérée par le géant Casino.

Par Stéphane Desjardins

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