Tel­le­ment mieux à la mai­son! et les aî­nés paient cher la ré­forme Ba­rette

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Pu­blié dans le Jour­nal des voi­sins.com, 18 juin 2020

On peut lire l’ar­ticle ici.

Les aî­nés vul­né­rables d’Ahunt­sic-Car­tier­ville ont été af­fec­tés bru­ta­le­ment par la ré­forme Ba­rette, af­firment les di­ri­geants de Tel­le­ment mieux à la mai­son!

En plus d’of­frir des ser­vices d’aide à do­mi­cile, cet OBNL of­frait, jus­qu’à l’an der­nier, des ser­vices d’as­sis­tance per­son­nelle et, se­lon le jar­gon du mi­lieu de la santé, des «actes confiés» se­lon la Loi 90 (par exemple : don­ner des mé­di­ca­ments, contrô­ler la gly­cé­mie, ef­fec­tuer des tou­chers rec­taux).

L’or­ga­nisme a perdu ce contrat stra­té­gique dans le sillage de la ré­forme Ba­rette. Ses di­ri­geants ont du même coup constaté la ra­pide dé­té­rio­ra­tion de la qua­lité des soins of­ferts à une clien­tèle très vul­né­rable, sur­tout des femmes seules de 80 ans et plus vi­vant à do­mi­cile (à la mai­son ou en ré­si­dence, mais pas en CHSLD).

La ré­forme Ba­rette est celle de l’an­cien mi­nistre de la Santé et des Ser­vices so­ciaux Gaé­tan Bar­rette, ré­forme qu’il a pi­lo­tée sous le gou­ver­ne­ment li­bé­ral de Phi­lippe Couillard. La ré­forme, adop­tée en 2015 en pleine pé­riode d’aus­té­rité bud­gé­taire, a pro­fon­dé­ment ré­or­ga­nisé les ré­seaux de la santé.

Qué­bec a cen­tra­lisé le pro­ces­sus de dé­ci­sion aux mains du mi­nistre et fu­sionné des cen­taines d’éta­blis­se­ments en une quin­zaine de CIUSSS ré­gio­naux, ef­fec­tuant au pas­sage des cen­taines de mil­lions de dol­lars de com­pres­sions bud­gé­taires. Très cen­trée sur le cu­ra­tif, la ré­forme im­plique lour­de­ment le sec­teur privé dans l’offre de soins.

C’est dans ce contexte que l’or­ga­nisme Tel­le­ment mieux à la mai­son! a perdu son contrat, au pro­fit d’une agence de santé pri­vée.

Re­tour en ar­rière

Mais re­ve­nons un peu en ar­rière : en 2007, le CLSC Ahunt­sic (de­puis fu­sionné au CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Mont­réal) de­mande à l’or­ga­nisme d’of­frir un ser­vice de soins à do­mi­cile pour les per­sonnes vul­né­rables avec des auxi­liaires en santé et en ser­vices so­ciaux.

L’OBNL l’im­plante et l’offre pen­dant douze ans.

« Pen­dant toutes ces an­nées, nous n’avons eu que des com­men­taires po­si­tifs des res­pon­sables du CLSC, ex­plique Anne Gé­li­nas, di­rec­trice gé­né­rale de Tel­le­ment mieux à la Mai­son! Le CLSC consi­dé­rait que nous étions top qua­lité. »

Pen­dant cette pé­riode, l’or­ga­nisme d’éco­no­mie so­ciale a mo­bi­lisé 88 em­ployés syn­di­qués à temps plein, par­tiel et oc­ca­sion­nel et pro­curé 94 000 heures de ser­vices d’as­sis­tance per­son­nelle. Le ser­vice, qui a com­mencé à Ahunt­sic, s’est ra­pi­de­ment élargi aux ter­ri­toires d’autres CLSC des en­vi­rons.

Ap­pels d’offres

Après la ré­forme Bar­rette, en 2017, le mi­nis­tère im­pose des ap­pels d’offres : après avoir éta­bli le ser­vice, l’avoir of­fert pen­dant plus d’une dé­cen­nie et s’être fait ap­pré­cier pour la qua­lité de la pres­ta­tion, l’OBNL doit se me­su­rer à des agences pri­vées pour conser­ver son contrat.

« Nous étions un or­ga­nisme d’éco­no­mie so­ciale qui of­frait de très bonnes condi­tions de tra­vail à du per­son­nel syn­di­qué, re­prend Mme Gé­li­nas. Nos com­pé­ti­teurs sont des agences pri­vées qui payaient beau­coup moins bien que nous. Leurs coûts d’opé­ra­tion sont moindres. »

La mé­ca­nique des ap­pels d’offres est avant tout ba­sée sur la règle du plus bas sou­mis­sion­naire. Se­lon Mme Gé­li­nas, l’ex­pé­rience ac­quise et la qua­lité des soins ne compte pas. L’OBNL rem­porte tout de même le contrat de deux ans (avec op­tion de re­nou­vel­le­ment pour deux autres an­nées) même s’il se classe en der­nière po­si­tion parmi les neuf or­ga­nismes sou­mis­sion­naires, car son offre était la plus chère.

Mais les pro­blèmes de qua­lité de ser­vice s’ac­cu­mulent par­tout dans la pro­vince et, en 2019, Qué­bec re­nonce à re­nou­ve­ler les contrats exis­tants et pro­cède à une nou­velle ronde d’ap­pels d’offres. Cette fois, Tel­le­ment mieux à la mai­son! en sort per­dant.

« Nous avons perdu des points à deux ques­tions sur quinze, pour des rai­sons que nous consi­dé­rons comme des pec­ca­dilles, re­prend Mme Gé­li­nas. Par exemple, le ques­tion­naire de­man­dait si nous avions une po­li­tique de ges­tion des res­sources hu­maines qui per­met­tait la gra­da­tion des sanc­tions en cas de dos­sier dis­ci­pli­naire. Nous avons ré­pondu par l’af­fir­ma­tive, mais nous n’avons pas ex­pli­qué le dé­tail de cette po­li­tique. Ils nous ont de­mandé si nous éva­luions notre per­son­nel. On a dit oui sans pré­ci­ser la mé­ca­nique. Ces dé­tails ont fait toute la dif­fé­rence. Quand ils ont ap­pris que nous avions perdu le contrat, nos per­sonnes-contact au CLSC étaient dé­vas­tées. »

Mme Gé­li­nas ex­plique que son or­ga­nisme a songé à lan­cer des re­cours de­vant les tri­bu­naux, ju­geant que le trai­te­ment de son dos­sier avait été in­juste. Mais de­vant l’Eve­rest ju­ri­dique et bu­reau­cra­tique, il y a re­noncé.

Déshu­ma­ni­sa­tion

De­puis la ré­forme, elle sou­ligne que la qua­lité des soins s’est de beau­coup dé­té­rio­rée.

« Quand notre or­ga­nisme of­frait le ser­vice, on pas­sait pra­ti­que­ment une à deux heures avec chaque bé­né­fi­ciaire, dit-elle. C’est une clien­tèle très vul­né­rable, qui a be­soin d’être ras­su­rée. Cer­tains n’ont ja­mais de vi­site, sauf la nôtre. Avec la ré­forme, nous avons été contraints d’écour­ter pro­gres­si­ve­ment les vi­sites. À la fin, elles ne du­raient que 15 mi­nutes. Le côté hu­main a pris le bord : tout ce qui compte, c’est l’ar­gent, les bud­gets. C’est com­plè­te­ment aber­rant. »

Anne Gé­li­nas dé­crit l’or­ga­ni­sa­tion de ces soins comme du Tay­lo­risme.

« Le per­son­nel n’a pas le temps d’ins­tau­rer un lien avec les bé­né­fi­ciaires et passe d’un client à l’autre à toute vi­tesse. Pour moi, c’est scan­da­leux. Sur­tout à une époque où on en­tend va­lo­ri­ser le main­tien à do­mi­cile des aî­nés en perte d’au­to­no­mie. »

Avec la perte de ce contrat, Tel­le­ment mieux à la mai­son! a dû li­cen­cier une soixan­taine d’em­ployés.

Pas de ré­ponse!

Le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Mont­réal a pré­féré ne pas com­men­ter le dos­sier et  nous a ré­féré à sa so­ciété Sigma Santé, qui était res­pon­sable de la ges­tion des ap­pels d’offres.

Au mo­ment de pu­blier ces lignes, cette der­nière n’avait pas ré­pondu à nos de­mandes de com­men­taires.

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