Publié sur le site web du magazine Virage, 6 juillet 2020
Vous avez acheté votre voyage avant la pandémie et vous vous demandez si, un jour, vous reverrez votre argent? Soyez au fait de vos recours, puis… armez-vous de patience!
Le 13 mars, le gouvernement fédéral invitait les Canadiens à ne plus voyager et à ceux qui se trouvaient à l’étranger à revenir dans les meilleurs délais. L’écrasante majorité des avions a été clouée au sol. Contrairement aux pays de l’Union européenne ou aux États-Unis, les transporteurs aériens canadiens n’ont pas été tenus de rembourser leurs clients. La valeur de leurs billets s’élève à plusieurs milliards de dollars, dont 2,6 milliards chez Air Canada et 809 millions chez Air Transat.
Plutôt que des remboursements, les transporteurs aériens proposent des crédits ou des bons pour un vol éventuel, applicables pendant deux ans. Devant la grogne, Air Canada a annoncé en avril qu’elle faisait sauter la limite de deux ans pour les départs entre le 1er mars et le 30 juin. Les voyageurs peuvent aussi convertir la valeur résiduelle en milles Aéroplan à un taux bonifié de 65 %.
Le non-remboursement est illégal
Option Consommateurs a déposé une pétition pour le remboursement des billets d’avion auprès du gouvernement fédéral, qui a récolté plus de 30 000 signatures en une semaine. Celle d’Air Passenger Rights en a récolté 61 000 en deux mois sur le site change.org.
« Le non-remboursement des billets d’avion est tout simplement inacceptable et même illégal en fonction de la Loi sur la protection du consommateur et du Code civil », rappelle Élise Thériault, porte-parole de l’organisme.
L’Office de la protection du consommateur (OPC) précise que même en cas de force majeure, comme une pandémie, le commerçant a l’obligation de rembourser. On attend toujours la contestation judiciaire…
Vos recours
Quels sont les recours si votre voyage a été annulé à cause de la COVID-19? Il y en a plusieurs, selon Jacob Charbonneau, cofondateur et PDG de Volenretard.ca, un cabinet d’avocats spécialisé dans la défense des droits des voyageurs aériens. M. Charbonneau rappelle que certaines classes de billets (normalement les plus chères) prévoient un remboursement en cas d’annulation. De fait, Air Canada affirmait en avril qu’elle avait remboursé pour environ un milliard de dollars de billets.
« Le Canada est le seul pays au monde à avoir suspendu son règlement sur le transport aérien, dont la nouvelle mouture venait d’entrer en vigueur en décembre, ajoute M. Charbonneau. L’Office canadien des transports, qui administre le règlement, s’est donné jusqu’en octobre pour réagir aux plaintes, qui dépassent les 20 000. Leur traitement pourrait ainsi prendre deux ans! » Pour déposer une plainte auprès de l’Office, 1 888 222-2592.
Les critiques fusent envers le gouvernement canadien, accusé de protéger davantage les transporteurs aériens que leurs clients.
Dans ce contexte, obtenir un remboursement est extrêmement compliqué : « Il faut se battre pour faire valoir ses droits et les consommateurs sont littéralement laissés à eux-mêmes, commente M. Charbonneau. D’autant plus que les lignes aériennes n’ont aucun délai à respecter pour répondre à leurs clients. On dit aux gens d’être patients et persévérants. »
Volenretard.ca offre de représenter le client dans ses démarches de remboursement, contre une commission de 25 % sur les sommes récupérées. « Si notre client n’obtient rien, nous ne sommes pas payés, ajoute Jacob Charbonneau. On a aidé beaucoup de monde dans ce dossier. »
Rétrofacturation, FICAV…
Si vous avez acheté votre billet directement de la compagnie aérienne, au téléphone ou par Internet, vous pouvez demander la rétrofacturation auprès de l’émetteur de la carte de crédit, comme le prévoit la Loi sur la protection du consommateur. Pour informations, cliquez ici ou composez le 1 888 672-2556.
Pour tous les consommateurs qui ont acheté leur billet en mars ou avant, le délai de 60 jours (pour faire une demande de rétrofacturation) à partir de la transaction est dépassé. D’ailleurs, parmi ceux qui ont déposé une demande à temps, nombreux sont ceux qui ont essuyé un refus.
Il est toutefois possible de faire une demande de contestation d’une rétrofacturation refusée : « Visa et Mastercard ont un processus d’arbitrage et certains consommateurs auraient gagné, mais cette procédure est peu connue des consommateurs, explique Élise Thériault. De plus, parmi ceux qui ont gagné, plusieurs se sont vus facturer le billet à nouveau sur leur carte de crédit, car le transporteur aérien a contesté la rétrofacturation avec succès! »
Si l’émetteur de la carte de crédit refuse la rétrofacturation, vous pouvez déposer une plainte à l’OPC et même poursuivre l’émetteur de la carte aux petites créances.
Si le billet d’avion a été vendu par une agence de voyages ayant un permis du Québec, y compris les filiales des transporteurs aériens (comme Vacances Air Canada) ou même Expedia.ca (qui est représentée par Vacances Tour Est), vous pouvez présenter une demande d’indemnité au Fonds d’indemnisation des clients des agents de voyages (FICAV). Pour plus d’informations, cliquez iciou composez le 1 888 672-2556.
Le problème, c’est qu’à ce jour, le FICAV n’a indemnisé personne. Début juillet, l’OPC avait pourtant reçu 28 000 demandes; un nombre si élevé que certains croient que les 142 millions de dollars accumulés au sein du FICAV (au 31 mars) seront entièrement avalés par cette crise. Pire : le Fonds devra peut-être emprunter au gouvernement l’argent nécessaire pour assumer l’ensemble des demandes d’indemnisation.
Par contre, le FICAV pourrait ne pas en arriver là, puisqu’il n’indemnise pas au-delà de 60 % de ses fonds accumulés pour un seul événement. On se doute bien que, dans les circonstances, les voyageurs ne seront pas pleinement indemnisés… À moins que Québec n’en décide autrement. On attend depuis des mois de savoir ce que décideront les autorités.
Certains professionnels du voyage croient que le FICAV prendra peut-être deux ans ou plus avant de passer à l’action. « Vous avez le temps d’utiliser le crédit offert par le transporteur aérien; vous n’aurez aucune indemnité », commente une source bien informée.
Assurance, tribunaux…
Vous pouvez également faire une demande d’indemnisation auprès de votre assureur voyage. Le problème, c’est que les assureurs considèrent les crédits ou les bons offerts par les transporteurs aériens comme une perte non assurable. Par exemple, si votre voyage vaut 5 000 $ et que la partie aérienne vaut 2 000 $, et que le transporteur vous offre un crédit, l’assureur voyage risque de seulement vous rembourser 3 000 $. Et encore, il est important de contacter votre assureur pour être certain que les autres dépenses peuvent être couvertes.
Cette position n’est pas acceptable selon les organismes de défense des droits des consommateurs. L’Autorité des marchés financiers (AMF), qui encadre les assureurs, n’a pas retourné nos appels.
Vous pouvez toujours déposer un recours auprès de la Cour des petites créances. Votre réclamation doit être de moins de 15 000 $. Attendez-vous à assumer des frais d’ouverture de dossier variant de 156 $ à 313 $. Pour informations, cliquez ici ou composez le 1 866 536-5140. Mais avant de poursuivre, vous devrez mettre en demeure le transporteur aérien ou le voyagiste qui refuse de vous rembourser. Pour savoir comment vous y prendre, cliquez ici ou composez le 1 888 672-2556.
Recours collectifs
Au moment d’écrire ces lignes, au moins cinq recours collectifs sont en cours d’autorisation, par les cabinets Perrier Avocats et Donati Maisonneuve (514 336-2769), Evolink Law Group et Champlain Avocats (anglais seulement, 604 620-2666) et BGA Avocats (1 866 523-4222).
Mais ces démarches, si elles aboutissent, s’étireront certainement sur plusieurs années, car les tribunaux doivent avant tout autoriser ces recours et, ensuite, ils devront suivre le cours normal du processus judiciaire, qui est déjà retardé par la pandémie.
Vous êtes toutefois automatiquement reconnu membre d’un recours autorisé si votre dossier est conforme aux paramètres.
Partir quand même
Tous les voyageurs n’ont pas le loisir d’attendre des mois ou des années pour utiliser les crédits offerts par les transporteurs aériens. Certains avaient acheté un voyage pour aller à un événement familial, comme un mariage ou des funérailles. D’autres seront peut-être trop âgés ou leur état de santé se sera à ce point détérioré que l’assurance voyage sera alors hors de prix, ou ils ne pourront tout simplement plus voyager.
Plusieurs prennent toutefois leur mal en patience et prévoient déjà partir d’ici quelques mois ou l’an prochain. « Environ 10 % des consommateurs ont déjà utilisé leur crédit pour un voyage aux Fêtes, révèle Moscou Côté, président de l’Association des agents de voyages du Québec. Et plusieurs pays européens ont ouvert leurs frontières aux voyageurs canadiens il y a quelques jours. Dans ce contexte, les transporteurs ont des conditions très souples pour les départs des prochains mois. Par exemple, les grossistes exigent désormais un dépôt de seulement 100 $ pour un départ pouvant être annulé à 28 jours d’avis pour n’importe quelle raison. Le consommateur peut alors reporter à nouveau son voyage. »
Cela dit, les assureurs voyage ne couvriront aucuns frais reliés à la COVID-19. Si vous allez à Paris ou en Floride et que vous avez une crise cardiaque, vous serez couvert. Mais pas si l’on vous branche pendant une semaine à un ventilateur aux soins intensifs après un test positif à la COVID-19.
Choisir de partir quand même comporte son lot d’incertitudes. Les autorités médicales ne prévoient pas la production de masse d’un vaccin avant l’an prochain. Et l’on n’a aucune idée de l’ampleur de la deuxième vague de la pandémie. Entraînera-t-elle à nouveau la fermeture des frontières ou un avis du gouvernement fédéral d’éviter tout voyage vers le pays visé (ce qui entraîne l’annulation de la couverture d’assurance voyage)?
Quand on voit ce qui se produit aux États-Unis, notamment en Floride, destination prisée des Québécois, où la première vague de la pandémie est hors de contrôle, planifier un voyage maintenant relève de la témérité.