Vou­lez-vous de­ve­nir un ami de votre parc-na­ture?

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Pu­blié dans le Jour­nal des voi­sins.com, 6 no­vembre 2020

On peut lire l’ar­ticle ici.

Ruisseau au parc-nature de l’Île-de-la-Visitation (Photo: jdv P. Rachiele)

Les parcs-na­ture de l’Île-de-la-Vi­si­ta­tion et du Bois-de-Sa­ra­guay ont été créés grâce à des mou­ve­ments ci­toyens. Il est temps de pas­ser à une nou­velle étape, af­firment des mi­li­tantes de la pre­mière heure.

« À la fin des années 1970, les citoyens étaient très préoccupés par les intentions des promoteurs de construire en berge vers l’ouest, alors qu’à l’est, les tours à condo et les résidences pour personnes âgées poussaient comme des champignons », explique Lorraine Pagé, qui était du mouvement citoyen exigeant la création du parc de l’Île-de-la-Visitation. « Dans le quartier, on réclamait que les espaces en friche soient transformés en parc, reprend-elle. On a multiplié les corvées de nettoyage, les pétitions, les manifs et les représentations auprès des élus. »

Le mes­sage a été en­tendu. Une ins­tance au­jour­d’hui dis­pa­rue, la Com­mu­nauté ur­baine de Mont­réal (CUM), qui re­grou­pait toutes les villes de l’île de Mont­réal, achète les ter­rains et crée le parc-na­ture. Au même mo­ment, le vil­lage de Sault-au-Ré­col­let est re­connu comme site pa­tri­mo­nial.

« Ça a per­mis de conso­li­der l’as­pect du vieux vil­lage. Même si l’Île-de-la-Vi­si­ta­tion est le plus pe­tit des parcs-na­ture de Mont­réal, c’est le plus fré­quenté parce qu’il est in­séré dans la trame ur­baine », re­prend Mme Pagé.

Un boisé unique

Sur ce plan de Montréal dessiné par François Vachon de Belmont, en 1702, on peut distinguer le Beau Bois, soit la forêt de Saraguay, au sud de la rivière des Prairies, un peu à gauche, sous la rose des vents. Crédit : Archives de Montréal.

Fin des an­nées 1970, une autre ba­taille ci­toyenne a en­traîné la créa­tion du parc du Bois-de-Sa­ra­guay, dans une fo­rêt dé­crite comme le Beau Bois dès 1702 par le car­to­graphe sul­pi­cien Va­chon de Bel­le­mont.

« Plu­sieurs groupes ont ap­pris par ha­sard, sur un ba­billard, que la fo­rêt était à vendre, re­mé­more Jo­ce­lyne Le­duc-Gau­vin, pré­si­dente du Co­mité pour la mise en va­leur du Bois-de-Sa­ra­guay. Il y avait un pro­jet de tours d’ha­bi­ta­tion. Les gens se sont mo­bi­li­sés pour sau­ver la fo­rêt, qui est la plus an­cienne de Mont­réal et dont la bio­di­ver­sité est ex­cep­tion­nelle. Sans cette mo­bi­li­sa­tion, le site se­rait oc­cupé au­jour­d’hui par des tours et des mai­sons. »

Les citoyens alertent les médias, organisent des visites sur les sentiers anciens, sensibilisent les élus au sujet des espèces rares de plantes, d’arbres et d’oiseaux, sur les marécages et les trésors que cache une forêt fragile, dont la valeur est sous-estimée.

Dé­but des an­nées 1980, la CUM achète la fo­rêt, mais aussi le do­maine Ogilvy, pour en faire un parc. Ce­lui-ci com­porte deux sen­tiers pa­tri­mo­niaux : le Polo, sillonné au­tre­fois à che­val par les an­ciens bour­geois du Mille Carré Doré, et le Pa­ton, qui per­met­tait à cette fa­mille d’al­ler dans son île, à La­val, par un quai ins­tallé sur la ri­vière des Prai­ries.

Boisé de Saraguay (Photo: archives jdv)

Mme Le­duc-Gau­vin rap­pelle que la fo­rêt bé­né­fi­cie éga­le­ment d’une pro­tec­tion d’ar­ron­dis­se­ment na­tu­rel par le mi­nis­tère des Af­faires cultu­relles, au même titre que le Ro­cher Percé, les îles Min­gan, l’île d’Or­léans ou le mont Royal.

Pas fa­cile

Les deux femmes es­timent que les groupes de ci­toyens at­ta­chés à la dé­fense de ces parcs ont l’écoute des élus et des fonc­tion­naires. Mais elles dé­plorent une cer­taine lour­deur bu­reau­cra­tique. C’est que la ges­tion des huit parcs-na­ture de Mont­réal est sous la res­pon­sa­bi­lité d’un ser­vice qui leur est dé­dié, rat­ta­ché à la Ville-centre et non aux ar­ron­dis­se­ments.

« Cette si­tua­tion a ses avan­tages et ses in­con­vé­nients, sou­tient Phi­lippe Poul­laouec-Go­ni­dec, pro­fes­seur émé­rite à l’Uni­ver­sité de Mont­réal, res­pon­sable de la Chaire de re­cherche de l’UNESCO en pay­sage ur­bain. Certes, les ar­ron­dis­se­ments ap­portent une cer­taine proxi­mité et les ci­toyens se sentent da­van­tage écou­tés, car ils ont un ac­cès as­sez im­mé­diat aux élus et aux fonc­tion­naires. Mais les dé­ci­sions des ar­ron­dis­se­ments ne sont pas concer­tées avec la Ville-centre, car ils ne se pré­oc­cupent que de leur ter­ri­toire. »

Or, cer­taines dé­ci­sions doivent être ap­pli­quées à l’échelle mont­réa­laise, d’au­tant plus que les ar­ron­dis­se­ments se font concur­rence pour cer­taines res­sources et pour at­ti­rer des ré­si­dants, sou­tient le pro­fes­seur. Dans ce contexte, la créa­tion d’un seul ser­vice pour tous les parcs-na­ture est avan­ta­geuse, sou­tient-il.

« Tous les parcs mu­ni­ci­paux ont une va­leur, peu im­porte leur taille, dit-il. Mais les parcs-na­ture sont des es­paces na­tu­rels com­plexes et leur rayon­ne­ment dé­passe l’ar­ron­dis­se­ment, qui ne dis­pose pas né­ces­sai­re­ment des ex­per­tises pous­sées pour s’en oc­cu­per, comme des spé­cia­listes en éco­lo­gie. »

La pro­chaine étape

Lor­raine Pagé re­con­naît les avan­tages, mais aussi la lour­deur de la struc­ture ac­tuelle :

« Le conseil de ville, ce­lui de l’ar­ron­dis­se­ment, les sous-di­vi­sions et les ser­vices de la Ville-centre et de l’ar­ron­dis­se­ment, les consul­ta­tions pu­bliques pour pré­sen­ter des pro­jets, les ap­pels d’offres : la pro­cé­dure est longue et la­bo­rieuse. Ce sont les contraintes dé­mo­cra­tiques et bud­gé­taires ha­bi­tuelles. »

Elle sou­tient que, comme élue ou ci­toyenne, elle a tou­jours senti l’écoute et l’ou­ver­ture des fonc­tion­naires (l’an­cienne pré­si­dente de la Cen­trale des syn­di­cats du Qué­bec a aussi été conseillère dans le dis­trict de Sault-au-Ré­col­let, entre 2013 et 2017, poste qu’elle avait ob­tenu par une seule voix de ma­jo­rité).

Mais les dé­ci­sions se prennent trop len­te­ment au goût de Jo­ce­lyne Le­duc-Gau­vin. Elle sou­ligne, par exemple, qu’il a fallu at­tendre presque une dé­cen­nie avant d’en ap­prendre da­van­tage sur le ré­amé­na­ge­ment du boul. Gouin dans le bois de Sa­ra­guay, un sec­teur dan­ge­reux pour pié­tons et cy­clistes. Et, du côté de l’Île-de-la-Vi­si­ta­tion, la ré­ou­ver­ture du bel­vé­dère se fera en 2021, après cinq ans d’at­tente.

Dans le contexte ac­tuel, les co­mi­tés bé­né­voles sont les yeux et les oreilles des ci­toyens, qui alertent les au­to­ri­tés lorsque quelque chose cloche sur le ter­rain. Or, il y a ac­tuel­le­ment un cer­tain es­souf­fle­ment qui s’ex­plique par la mou­vance de leurs membres et le dé­cou­ra­ge­ment lié à la lour­deur bu­reau­cra­tique.

À quand ces struc­tures?

Mes­dames Pagé et Le­duc-Gau­vin ac­cueille­raient fa­vo­ra­ble­ment la créa­tion de so­cié­tés sans but lu­cra­tif rat­ta­chées aux parcs de l’Île-de-la-Vi­si­ta­tion et du Bois-de-Sa­ra­guay, sur le mo­dèle des Amis de la Mon­tagne. Cet or­ga­nisme va­lo­rise le parc du Mont-Royal et ses en­vi­rons im­mé­diats.

Une telle struc­ture per­met de re­ce­voir des dons et des sub­ven­tions, d’éta­blir une per­ma­nence, d’em­bau­cher des em­ployés, de se payer des res­sources, d’as­su­rer ainsi une re­pré­sen­ta­tion ci­toyenne per­ma­nente.

« Ça per­met­trait à la Ville-centre et aux ar­ron­dis­se­ments d’avoir un an­crage dans ces parcs, d’être im­pli­qué sur le ter­rain, de le connaître par cœur et de mieux in­for­mer les au­to­ri­tés sur les be­soins, les at­tentes et les pro­blèmes », ex­plique Mme Pagé.

Se­lon elle, ci­toyens et ar­ron­dis­se­ments de­vraient ini­tier un dé­bat pour l’im­plan­ta­tion de tels or­ga­nismes.

« Je suis cer­taine que la créa­tion d’une telle ins­tance va se faire, sou­tient Mme Le­duc-Gau­vin. Mais ça de­mande beau­coup d’éner­gie pour mettre ça sur pied… que nous n’avons pas à l’heure ac­tuelle, car nous sommes un pe­tit co­mité de quelques per­sonnes. »

Pour Phi­lippe Poul­laouec-Go­ni­dec, de tels or­ga­nismes, ins­pi­rés d’une tra­di­tion an­glo­phone, sont im­por­tants, car ils mo­bi­lisent non seule­ment les ri­ve­rains, mais aussi les ci­toyens de l’ex­té­rieur de l’ar­ron­dis­se­ment.

« C’est une sorte de club de dé­fense et de sau­ve­garde du pa­tri­moine na­tu­rel, dit-il. Les parcs-na­ture sont des biens stra­té­giques pour tous les Mont­réa­lais. La créa­tion de tels groupes amène le res­pect des au­to­ri­tés, une vi­si­bi­lité, du pres­tige. Ils de­viennent in­con­tour­nables pour toutes les prises de dé­ci­sion concer­nant ces parcs. »

À quand les Amis du Bois-de-Sa­ra­guay et les Amis de l’Île-de-la-Vi­si­ta­tion?

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