Samantha Bellamy est entrepreneure techno
Publié sur le site web du Réseau Mentorat, L’Indice entrepreneurial québécois, 25 avril 2022
Samantha Bellamy est entrepreneure techno. Elle connaît un succès monstre. Tellement qu’elle est en train de crever un deuxième plafond de verre.
Samantha Bellamy a fondé et lancé Bazookka, une plateforme collaborative d’infonuagique qui permet aux organisations de recruter et coordonner leurs rendez-vous de stagiaires. Lancée il y a quatre ans, en opération depuis deux, l’entreprise compte aujourd’hui plus de 90?000 utilisateurs et utilisatrices.
Les clients sont des collèges, des centres de formation professionnelle et des employeurs. La plateforme gère tout ce qui a trait aux stages?: rédaction de l’offre de stage, affichage de poste, prise de rendez-vous avec les candidats et candidates, évaluation, convention, etc.
L’entreprise a 18 clients payants et 6 non payants, car ils avaient accepté d’utiliser la plateforme durant les deux années initiales de développement (early adopters). Le téléphone n’arrête pas de sonner, d’autant qu’au printemps, les employeurs préparent leurs stages d’été et d’automne. Bref, le succès est au rendez-vous. Mais ce ne fut pas toujours aussi simple.
Forcer le changement
Bazookka a véritablement décollé au tout début de la pandémie. Pas un timing idéal pour lancer son entreprise… «?D’autant plus que les collèges enseignaient à distance et pratiquement tous les stages avaient été annulés, révèle Samantha Bellamy. On en a donc profité pour améliorer notre application.?»
Bazookka ajoute ainsi des fonctionnalités et part à la recherche de financement additionnel pour soutenir son effort de guerre. Une situation qu’on devine stressante pour l’entrepreneure…
«?Si vous m’aviez interviewée en décembre 2021, je ne serais pas aussi optimiste qu’aujourd’hui, répond-elle. Je me suis même demandé, au début de la pandémie, si je devais retourner comme salariée. Finalement, la COVID nous a permis d’améliorer notre modèle de revenu. Nous avons ajouté des fonctionnalités pour les employeurs, ce qui s’est traduit par deux sources de revenus au lieu d’une seule.?»
La diversité
Être une femme entrepreneure issue de la diversité est-il un avantage ou un inconvénient? Samantha Bellamy ne se sent pas la différence?: ce sont les gens autour d’elle qui le lui font remarquer. Parfois de manière douteuse.
«?Les femmes entrepreneures en techno, elles sont rares, constate-t-elle. Les femmes noires en techno, au Québec, il y en a moins que les doigts d’une seule main! Dans ce contexte, certains clients ou collaborateurs sont parfois condescendants. On m’a demandé si je suis seule à la barre de mon entreprise. On m’interroge souvent sur mes origines. Je réponds invariablement que je suis née à Montréal, et vous? Ça les déstabilise.?»
Mme Bellamy est une vendeuse née. «?Mes développeurs sont tous des hommes blancs, ils me soutiennent dans cela, poursuit-elle. Ça m’arrive de les impliquer dans mes présentations quand je constate que le courant passe mal de l’autre côté de la table ou de l’écran.?»
Elle ajoute qu’elle a gagné 17 prix et 195?000$ de bourses pour entrepreneurs en démarrage?: «?Je sais comment faire un pitch, dit-elle. C’est mon dada. Je sais placer les bonnes phrases, glisser les bonnes jokes. J’ai grandi à Montréal, j’ai deux baccalauréats, j’ai étudié à HEC Montréal et, pourtant, je dois encore prouver ma valeur. Quand certains voient mon parcours universitaire ou mon entourage, ils sont rassurés?sur ma crédibilité. D’autres me demandent un suivi de mon patron. La techno est encore un secteur très macho. Mais, parfois, ce sont les femmes qui se montrent les plus sceptiques quant à mes capacités.?»
Avec ses partenaires financiers, Samantha Bellamy a souvent dû impliquer son comité consultatif, tous des hommes blancs, pour faire avancer sa cause. Pourtant, dans l’écosystème d’accompagnement aux entrepreneurs, elle constate un effort sincère pour encourager la diversité. «?Dans les concours, je suis souvent la seule femme noire. Et ce n’est pas parce que je suis issue de la diversité que je les gagne. C’est parce que mon projet est le meilleur?», poursuit-elle.
Quand elle fait des présentations, vu que son nom n’annonce pas nécessairement une personne de couleur, ses interlocuteurs font parfois le saut, souvent en région, dès qu’elle apparaît à l’écran. Elle mentionne toutefois que ça ne la touche plus.
L’écosystème perfectible
Elle a eu l’appui de l’accélérateur Banque Nationale – HEC Montréal, qui lui a fourni un bureau et une bourse de 25?000$ à un moment crucial, ainsi que celui de PME Montréal. Elle a participé à l’incubateur EntrePrism de HEC Montréal (destiné aux nouveaux entrepreneurs de la diversité) et s’est inscrite au programme Recharge de Startup Montréal, qui appuie des femmes entrepreneures.
Elle a aussi bénéficié du mentorat de groupe et individualisé du Réseau Mentorat. «?J’ai beaucoup appris avec le mentorat de groupe, glisse-t-elle. Parler avec des entrepreneurs rendus à différent stades de leur entreprise est très enrichissant. J’ai gardé de précieux contacts. On se partage des ressources. Grâce au mentorat, je me pose les bonnes questions sur mon cheminement. Je suis mieux focalisée. Je fais attention à ma santé mentale. Alors que, par nature, j’ai tendance à m’isoler et à être introvertie, je me suis créé un bon réseau d’entrepreneurs.?»
Que faudrait-il améliorer dans l’écosystème d’accompagnement à l’entrepreneuriat? «?C’est très difficile d’obtenir du financement aux étapes de préamorçage et d’amorçage. Malgré qu’on obtient des bourses, le financement se fait attendre. Il faut avoir des ventes récurrentes pour qu’on nous prenne au sérieux. Ça peut prendre beaucoup de temps avant d’en arriver là. On traverse une période où on teste des choses. J’ai changé pour le mieux mon modèle de revenu. J’avais pourtant des clients. Mais on s’épuise à chercher de l’argent pour payer les factures.?»
Sans les subventions, les bourses et un investissement de 122?000$, puisés à même ses économies personnelles accumulées pendant des années avec trois emplois simultanés, Mme Bellamy ne serait pas passée au travers.
«?Attendre d’avoir des ventes récurrentes, c’est beaucoup trop demander aux entrepreneurs en démarrage, analyse-t-elle. On doit vivre nos essais et erreurs… ET pouvoir payer ses factures! Une bonne idée, ce n’est pas la recette magique. Il faut développer le produit, la technologie super rapidement et les investisseurs te demandent systématiquement si des compétiteurs pourraient copier ce qu’on fait. Bien sûr! Et alors? J’ai dû financer une équipe de cinq développeurs à plein temps au salaire moyen de 65?000$. J’ai ouvert l’équité pour les retenir, car j’étais consciente d’être en deçà du marché. C’est clair qu’on devrait avoir accès à davantage de ressources financières à ce stade de notre développement…?»
Jeune entrepreneure
Celle qui a aujourd’hui plus de 35 ans a beaucoup profité d’un écosystème qui accorde des bourses et de l’aide aux jeunes entrepreneurs. «?J’ai commencé à 32 ans?: c’est devenu une course contre la montre pour obtenir des bourses de 20?000$ ou moins. Je ne trouve pas ça très sérieux, cette limite de 35 ans?», ajoute-t-elle.
Nommée une des 30 personnalités qui bâtissent Montréal par le journal Métro en 2021, elle a aussi remporté le prix 2022 Black Innovations Connections du DMZ Incubator de l’Université Ryerson, une bourse Pierre-Péladeau de Québecor, un prix Choix du Jury de Deloitte Québec et fut nommée parmi les Top 100 des femmes entrepreneures qui changent le monde par Femmessor (maintenant EVOL).
Elle travaille actuellement à une nouvelle technologie, Helis.ai, qui permettra aux gestionnaires de ressources humaines de présélectionner des talents grâce à l’intelligence artificielle, en contournant le taux élevé de discrimination constaté à l’étape de sélection des CV. Selon les travaux de Jean-Philippe Beauregard, chercheur de l’Université Laval, cette discrimination, au Québec, varie de 33% à 77%, selon l’industrie. Quel est le secteur où on constate le pire taux de discrimination? Pour les postes de… gestionnaires des ressources humaines!
Entrevue réalisée et écrite par Stéphane Desjardins.