Formation : des visions qui s’entrechoquent

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Publié dans le magazine Esquisses, avril 2023

On peut lire l’article ici.

La formation en architecture prépare-t-elle bien au marché du travail ? Vaut-il mieux apprendre à réfléchir ou à maîtriser des logiciels ? Connaître les normes de construction ou l’histoire de l’architecture ? Les avis divergent, mais un constat ressort : l’architecture s’apprend beaucoup par la pratique.

«C’est difficile pour un stagiaire. On a l’impression qu’on ne connaît rien, qu’on est des imposteurs?», commente Maryse Allard, architecte chez L.?McComber. «?Les architectes, poursuit-elle, sont peut-être des artistes, mais ils sont aussi responsables de la santé et de la sécurité des usagers des bâtiments qu’ils conçoivent. On arrive dans l’industrie et on se fait demander des choses qu’on n’a jamais vues à l’école. C’est dur pour le moral.?»

Maryse Allard, 30?ans, est inscrite au tableau de l’Ordre depuis 2021. La formation en architecture, note-t-elle, se concentre surtout sur la conception. «?Il y a trop de décalage entre la théorie et la pratique, estime-t-elle. Avant la maîtrise, on touche peu aux aspects professionnels et concrets, comme la gestion, les budgets ou la coordination avec les intervenants.?»

Virginie Mathieu, stagiaire chez MANŒUVRE architecture, ne considère pas non plus que les études en architecture préparent adéquatement à la réalité de l’industrie. «?L’école nous forme à l’architec­ture avec un grand A, dit-elle, mais la conception et le design, c’est peut-être 20?% de notre travail. Nous ne sommes pas que des artistes. L’instinct créatif ne suffit pas.?»

La jeune femme âgée de 27?ans reconnaît que la formation permet de concrétiser une idée en tenant compte d’une multitude de facteurs, surtout conceptuels et esthétiques. «?Mais notre travail, c’est aussi de respecter des normes, avance-t-elle. Ces notions sont effleurées durant la formation.?»

Même si on enseigne des aspects comme la performance énergétique des matériaux, Virginie Mathieu considère que c’est insuffisant. «?Dans un mur, on trouve 10?couches de matériaux, dit-elle. D’où viennent ces produits?? A-t-on tenu compte de la pollution ou des droits des travail­leurs dans leur fabrication?? Le béton et l’acier sont issus du pétrole, doit-on alors privilégier le bois?? On n’a jamais abordé ces questions à l’école.?»

«?Un logiciel, ça s’apprend facile­ment. La pensée critique prend plus de temps à se développer.?»

— Alexandre Hamlyn, architecte chez Pelletier de Fontenay et chargé de cours à l’Université de Montréa

Développer l’esprit critique

Du côté des écoles d’architecture, le son de cloche est tout autre.

Pour Alexandre Hamlyn, architecte chez Pelletier de Fontenay et chargé de cours à l’Université de Montréal, l’ensei­gnement doit offrir des outils et des compétences, mais surtout développer la pensée critique. «?J’ai un malaise avec une vision utilitaire de l’éducation, commente-t-il. Par contre, il faut certainement inten­sifier les échanges entre les milieux universitaire et professionnel.?»

Les jeunes architectes ont un excellent bagage, poursuit-il. Ils et elles ont appris à réfléchir et à concevoir, et ont aiguisé leur curiosité. «?Un logiciel, ça s’apprend facile­ment, illustre-t-il. La pensée critique prend plus de temps à se développer.?»

C’est aussi ce que croit Anne Cormier, architecte associée chez Big City et professeure à l’École d’architecture de l’Université de Montréal. Selon elle, il est plus important d’apprendre l’histoire de l’architecture que l’épaisseur d’isolant à mettre dans un mur. «?J’apprécie que mes étudiants apprennent à réfléchir?: on ne forme pas des automates?», insiste-t-elle.

À son avis, le programme actuel est excellent. «?Au fil des ans, j’ai suivi plusieurs de mes étudiants, dit-elle. Quand ils arrivent sur le marché du travail, ils se disent perdus. Mais plus on apprend, plus on prend conscience de nos limites.?»

Un apprentissage continu

«?Au sortir de l’école, la formation n’est pas terminée, renchérit Alexandre Hamlyn. Elle se poursuit sur le marché du travail. Je suis sensible au sentiment d’imposteur, mais travailler au sein d’équipes permet de pallier ces lacunes avec le temps. J’encourage les jeunes à puiser dans les compétences de leurs collègues.?»

Isabelle Beauchamp, architecte associée chez Blouin Tardif depuis 2007, a présidé le comité de l’examen des architectes du Canada (ExAC) et considère aussi que l’apprentissage de l’architecture est l’affaire d’une vie. Selon elle, toutefois, la relève est peu formée au sens des responsabilités. «?Comme architecte, nous avons une relation avec le client. Or, cette réalité est complètement absente du milieu universitaire. Même quand les étudiants réfléchissent à un projet, ça ne vient pas d’un client. Les réflexes manquent pour vérifier les cadres réglementaires, et si la technique permet ou non de construire. C’est la grande lacune actuelle.?»

De l’importance du chantier

Thomas Balaban, architecte associé fondateur de TBA et professeur agrégé à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal depuis 2012, déplore de son côté le fait que peu d’architectes en pratique s’impliquent dans l’enseignement. «?Les professionnels doivent enseigner les aspects concrets de la pratique?: il n’y a pas assez de gens de terrain à l’université?», croit-il.

Ainsi, selon lui, il est primordial que les étudiants et étudiantes visitent des chantiers. «?C’est là que la construction s’apprend.?» Or, il reconnaît qu’il est difficile pour les universités d’organiser de telles visites en raison des contraintes d’assu­rance, de responsabilité et de logistique que cela comporte. (Ses classes comptent plus de 90 personnes.) Dans ce contexte, les praticiens et praticiennes doivent mettre la main à la pâte et emmener leurs stagiaires sur les chantiers, estime-t-il, soulignant que beaucoup d’étudiants et étudiantes amorcent leur stage durant leurs études.

Isabelle Beauchamp trouve incroyable que des finissantes et finissants n’aient jamais eu une telle occasion. «?Il faut avoir vu un immeuble se construire, en compagnie d’un architecte expérimenté, avant de se destiner à cette profession?», affirme-t-elle.

Les programmes de type «?co-op?» (travail-études), comme ceux offerts à l’Université de Waterloo, sont des modèles intéressants, soutient-elle. Ils impliquent une alternance entre l’école et le marché du travail.

Intégrer les stages

Audrey-Anne Roberge, stagiaire chez Yelle Maillé et associés depuis trois ans, estime que les stages devraient être intégrés dans le programme universitaire. «?Pour certains programmes, comme la médecine, les sta­ges font partie du cursus et sont encadrés par l’université, dit-elle. Pourquoi est-ce différent en architecture?? Comme la majo­rité des étudiants travaillent déjà dans des bureaux d’architectes en été, je ne crois pas que cette intégration représente un problème insurmontable.?»

Signalons que, comme condition à l’obtention du diplôme de maîtrise, l’École d’architecture de l’Université McGill exige la réalisation d’un stage en milieu de travail (non crédité).

Actuellement, les établissements d’enseignement ne sont pas tenus d’intégrer un stage dans leur programme d’études pour obtenir leur certification auprès du Conseil canadien de certification en architecture (CCCA). «?En tenant compte de nos ressources et de notre curriculum, c’est difficile d’enlever des crédits existants pour insérer un stage et faire le pont avec l’industrie, et ce, même si la demande va en ce sens?», affirme Izabel Amaral, directrice de l’École d’architecture de l’Université de Montréal, qui dit toutefois y réfléchir.

Faudrait-il rallonger le programme d’un an pour ajouter des stages?? Izabel Amaral rétorque que le gouvernement ne financera pas cette année additionnelle. Et les cohortes étudiantes ne semblent pas chaudes à l’idée. «?Les étudiants veulent une formation plus courte et aller sur le marché du travail diplôme en main, dit-elle. Actuellement, 98?% de nos étudiants à la maîtrise professionnelle font leur parcours en une année et demie.?»

La directrice maintient qu’en architecture, aucune formation ne peut préparer à la pratique à 100?%. C’est la nature de la profession. «?De nos jours, il y a beaucoup d’anxiété de performance chez les jeunes finissants?», reconnaît-elle. Or, le meilleur moyen d’apaiser ce malaise, c’est d’acquérir de l’expérience?!

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