Le numérique et la mort ne font pas bon ménage
Publié dans le Journal de Montréal/Journal de Québec, Section Dans vos poches, 3 mars 2014
On peut lire l’article ici.
Vos romans, émissions de télé, films et musique en version numérique ne vous appartiennent pas. Votre vieux brûleur CD / DVD sera donc très populaire chez vos héritiers.
Quand vous cliquez sur « achat » dans iTunes ou chez Amazon, vous achetez un droit d’utilisation personnel et non l’oeuvre elle-même. Dans ce contexte, si vous voulez donner votre collection de 30 000 chansons, 500 films, 2000 épisodes de 50 séries télé ou 800 romans à vos proches, c’est impossible. Vous ne pourrez pas les transférer à leur nom.
Pire : si vous décédez, vos collections numériques disparaissent avec vous.
En septembre 2012, les tabloïds britanniques ont rapporté que Bruce Willis allait poursuivre Apple sur cette question, car il voulait léguer son imposante collection de disques, répartie sur plusieurs iPods, à ses quatre enfants. L’histoire était en fait un canular. Elle illustre tout de même les limites des lois qui encadrent notre univers numérique personnel.
En 2014, si vous achetez un CD, un DVD ou un roman sur papier, vous le possédez. Ce qui n’est pas le cas avec la version achetée en ligne. Vous n’avez ici qu’un droit d’utilisation sur un certain nombre de plate-formes (cinq chez Apple), lié à votre identifiant, qui a servi à sceller la transaction « d’achat ». Par contre, la version ePub ou PDF du livre que vous venez d’acheter chez Archambault.ca vous appartient vraiment. Et encore, s’il s’agit d’un fichier vendu sous la forme Adobe Digital Editions, vous ne pourrez probablement pas le transférer sur une autre plateforme (ordinateur, tablette numérique, téléphone intelligent) que celle qui a servi à l’achat, même si elle est à votre nom!
« Vos héritiers vont probablement pouvoir écouter pendant quelques jours votre musique ou lire vos romans… jusqu’à ce que votre carte de crédit soit bloquée. Ils ne pourront pas ensuite lier leur propre carte de crédit à votre identifiant. Votre collection sera alors perdue à jamais », commente Me Michel Beauchamp, de l’étude Beauchamp et Gilbert, un des rares experts québécois du domaine.
Plus inquiétant : si votre mot de passe disparaît avec vous, ni vos héritiers ni votre liquidateur ne pourra accéder à votre compte. Ça se corse d’un cran si vous êtes un musicien indépendant et que toutes vos œuvres sont en ligne. Plus personne ne pourra alors administrer vos droits d’auteur et dérivés.
Comme iTunes est basé en Californie, aucune loi québécoise ne s’applique, contrairement à Archambault.ca, qui est soumis au Code civil et à la Loi sur la protection du consommateur. Votre liquidateur n’a donc aucun moyen juridique d’accéder à votre compte iTunes ou à votre musique, vos films ou vos romans, surtout s’ils sont dans le nuage, spécialement le iCloud d’Apple.
Il existe un moyen simple de contourner le problème : gravez vos collections sur des DVD ou des CD. La qualité sera peut-être moins bonne pour les films et la musique que celle des DVD ou le CD originaux mais, au moins, votre liquidateur pourra les léguer à vos héritiers. Et, aussi, y accorder une valeur. Et, surtout, cette copie gravée vous appartient en toute légalité. Vous pouvez donc la léguer ou la donner à vos proches.
Nos conseils :
• Conservez vos mots de passe et identifiants dans une application pour téléphone intelligent qui en fait une copie cryptée sur votre ordinateur (PasswordBox, 1Password, mSecure, Wallet, OneSafe, DataVault, eWallet)
• Envoyez le mot de passe de cette application (et ceux de vos compte iTunes, bancaires et autres) au notaire qui le conservera avec votre testament dans sa voûte (c’est gratuit)
• Protégez votre ordinateur par un mot de passe, donnez ce mot de passe à votre notaire et faites vos copies de sécurité chaque semaine
• Gravez dès que possible vos collections numériques de films, d’émissions télé, de musique et de livres sur des DVD
• Fixez à votre agenda une séance mensuelle ou trimestrielle de gravure pour vos achats futurs, selon votre consommation