Les navetteurs au long cours

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navetteursPublié dans Vélo Mag – La Ville à vélo, avril 2018

On peut lire l’article ici.

La banlieue ne cesse de s’étendre. Au royaume de l’auto, ils sont de plus en plus nombreux à troquer la pédale à gaz pour le jus de mollet.

En provenance de la Rive-Sud Chaque matin, Yves Bonneau enfourche son vélo, près de l’aéroport de Saint-Hubert, à proximité du chemin de Chambly et de la route 116. La banlieue, la vraie : « Je n’ai jamais été pris dans le trafic. »

Le journaliste et éditeur de publications financières pédale depuis des décennies. « Au début, j’ai vécu la croix et la bannière : des vestiaires à vélo sales et encombrés, près des quais de livraison remplis de monoxyde de carbone, sans carte d’accès ni supports appropriés, dit-il.

Aujourd’hui, certaines tours de bureaux ont des stationnements pour vélos étincelants et surveillés. »

Il l’avoue : il a besoin de son fix quotidien de vélo pour faire une coupure entre boulot et vie de famille. Il utilise l’application Strava et emprunte souvent des détours afin d’ajouter des kilomètres.

Yves Bonneau anticipe les mouvements des voitures en regardant les pneus, s’habille de façon voyante et multiplie phares et feux sur sa monture. Il a cousu un sifflet sur la lanière gauche de son casque : « La clochette, personne ne l’entend. Le sifflet, il interpelle même les piétons aux écouteurs sur les oreilles. »

Du bout de l’île

Trois ou quatre fois par semaine, François Gauvin, analyste en informatique, pédale 16 km de la 56e Avenue, dans le quartier Pointe-aux-Trembles, jusqu’à l’angle des rues Viau et Sherbrooke, surtout sur la piste cyclable de la rue Notre-Dame. « Ça m’oblige mentalement à être persévérant pour maintenir le rythme. Chaque arrivée au bureau est une petite victoire. »

Le matin, il doit composer avec un vent de face : « Je vais assez vite, ce n’est pas une promenade ! » Il est heureux de ne pas être coincé dans la circulation, en plus il économise sur l’essence et garde la forme.

À partir de la couronne nord

Mélanie Luneau, édimestre, roule 4 km du secteur Auteuil, à Laval, jusqu’à la gare Sainte-Rose, plie son Brompton, grimpe dans le train de banlieue, descend à la gare Parc, déplie son vélo et pédale 9 km jusqu’au travail, face aux pyramides olympiques : « Je fais 25 minutes de lecture et autant de vélo. Le bonheur ! » Elle glisse son Brompton plié sous son bureau en accrochant parfois la sonnette. Les collègues sourient.

Elle change constamment d’itinéraire : « Je découvre des quartiers que je ne connaissais pas. J’arrête dans des cafés ou des commerces en fonction de mes besoins. » Elle a même accepté son nouveau poste parce qu’elle pouvait y accéder grâce à son Brompton : « Le défi m’intéressait, mais pas l’emplacement. J’ai trouvé une solution. »

Ça change à Québec

Yanick Beaudoin est étudiant au doctorat en génie électrique à l’Université Laval. Il s’y rend depuis l’arrondissement de Beauport : 26 km en été et 18 km en hiver.

Est-il vrai que rouler à Québec en vélo n’est pas drôle ? « Au contraire, c’est très plaisant. Je le fais depuis plus de 15 ans. Au début, c’était atroce. L’attitude des automobilistes a généralement changé en mieux. » Il respecte scrupuleusement le Code de la route, et les conducteurs apprécient. Plusieurs lèvent le pouce à son passage.

L’été, il privilégie les pistes cyclables : « Elles sont en bien meilleur état qu’à Montréal. Une piste endommagée à Québec, c’est rarissime ! Il en manque toutefois des bouts en banlieue. »

Dans les champs

Éric Dubuc accumule 350 km sur son vélo, hebdomadairement. Il pédale depuis 10 ans entre Saint- Polycarpe, près de Salaberry-de- Valleyfield, jusqu’à Coteau-du- Lac en passant par la piste du canal de Soulanges. Il circule souvent sur des rangs.

Il a commencé avec une journée par semaine. Au bout de sept ans, c’est devenu une habitude quotidienne. En auto, parcourir la distance exige 35 minutes ; à bicyclette, 50. Il utilise un vélo assisté. « J’ai longtemps cru que c’était pour les paresseux. Mais au premier essai, ça a été une révélation ! Je fais plus de vélo qu’avant et ça me prend moins de temps pour me remettre d’un trajet pendant lequel j’ai un vent de face épouvantable. »

Direction centre-ville

Johanne Bolduc est rédactrice technique au centre-ville de Montréal. Comme elle a des horaires anarchiques, il lui fallait oublier le train de banlieue. Elle part donc du fin fond de Côte-Saint-Luc, se rend jusqu’à la piste cyclable du boulevard de Maisonneuve, près du campus Loyola de l’Université Concordia, et finit sa course de 12 km sur l’avenue McGill College. Elle se plaint des envahisseurs de pistes cyclables : joggeurs munis d’écouteurs, piétons au téléphone, scooters électriques et, surtout, camions, notamment à Westmount.

D’est en ouest

Frédéric Dufresne est chargé de projet pour une table de concertation en petite enfance. Il pédale depuis l’angle du boulevard Pie-IX et de l’avenue du Mont-Royal jusqu’au boulevard Décarie, dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce. À vélo, ces 15 km lui prennent 45 minutes ; en transport en commun, plus d’une heure.

Il préfère les pistes cyclables : « Je ne suis pas à l’aise sur la rue Sherbrooke, pourtant plus directe. Je crains les emportiérages. La culture du partage de la route est difficile à Montréal. Mais les pires, ce sont les piétons. Je manque chaque semaine d’en frapper un ! »

Chambly- Montréal entre amis

Charles-Antoine St-Germain roule tous les jours entre Chambly et l’arrondissement Le Plateau-Mont-Royal, sauf l’hiver. Ce chef cuisinier du réseau de la santé voyage souvent sur la piste cyclable en compagnie d’un gars qui est devenu un de ses meilleurs amis. « Je l’ai rencontré à vélo. Tous les gens qui pédalent jusqu’à Montréal se connaissent. Il y a une solidarité, un devoir d’assistance en cas de pépin. Plusieurs se promènent équipés de pompes, outils et chambres à air de secours. »

« En auto ou en transport en commun, ça me prend 45 minutes, et je dois chercher du stationnement. J’ai trois enfants au primaire. Je n’ai pas le temps de m’entraîner. Je garde ainsi la forme. Et nous économisons 10 000 $ par année en ne possédant qu’une seule voiture. »

Il dénonce la fermeture du pont Jacques-Cartier en hiver. Il rêve d’autoroutes à vélo déneigées pendant la saison froide, comme en Allemagne, ainsi que de vélostations, notamment au métro Longueuil–Université-de- Sherbrooke.

Il ajoute que le vélo lui procure un énorme sentiment de liberté. Le commentaire préféré de tous les cyclistes navetteurs.

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