Où est la relève à la tête de nos entreprises?

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Publié dans le magazine Le Mentor de décembre 2012, du Réseau M de la Fondation de l’entrepreneurship

On peut lire les articles ici.

Où est la relève?

L’avenir du Québec est en jeu. Littéralement. Nos entreprises manquent de relève à leur tête. Principalement les PME, où sont la majorité des emplois. En fait, il nous faudra 38 000 releveurs d’ici 2020, selon la Fondation de l’entrepreneurship. Sans personne pour prendre le relais, les entrepreneurs seront tentés de fermer ou de vendre au plus offrant. Souvent un compétiteur de l’extérieur. Influence, emplois et richesse migrent ainsi hors du Québec. Avant que le problème de la relève ne devienne un drame, il faut mieux encadrer vendeurs et releveurs pour que le flambeau se passe sans anicroches. Et les mentors sont au coeur de ce processus stratégique marqué par l’humain.

Cédants et repreneurs sous pression

La démographie est implacable. Pour éviter que l’on assiste à une série de fermetures ou de ventes de feu de nos entreprises à des repreneurs étrangers, on doit passer à l’action. Et les mentors sont au coeur de ce processus. La Fondation de l’entrepreneurship tenait une table ronde l’été dernier sur le sujet. Les panélistes y ont fait le constat que, lorsque cédants et repreneurs entendent passer à l’action, ils font souvent face à un parcours semé d’embûches.

« Nos chefs d’entreprises vieillissent, c’est clair. Même s’ils hésitent encore, ils devront, tôt ou tard, passer le flambeau. Mais on a un problème au Québec : notre taux d’entrepreneuriat est parmi les moins élevés au pays. Il faut faire quelque chose pour changer ça ! »

Ces paroles sont de Francis Nadeau, coordonnateur du Centre de transfert d’entreprises de la Capitale-Nationale. Elles reflètent un sens de l’urgence que peu de décideurs québécois, ni même le grand public, semblent avoir saisi.

Pourquoi le Québec crée-t-il moins d’entreprises que les provinces voisines ? Pourquoi avons-nous moins de repreneurs ? « On dirait que les valeurs des jeunes sont différentes de celles des générations qui les ont précédées, reprend M. Nadeau. Les jeunes tiennent à leur qualité de vie. Et la gestion d’entreprise est plus compliquée qu’avant. Ça prend parfois deux ou trois personnes pour remplacer un entrepreneur qui arrive à la soixantaine. »

La société change

« Quand j’étais jeune, mes valeurs étaient différentes des jeunes générations actuelles. On n’a pas le choix de l’accepter. Des jeunes qui veulent travailler fort, ça existe. Il faut les encourager à être des releveurs plutôt que des créateurs d’entreprises. Il pourront transformer ensuite leur entreprise à leur manière », répond Jean Veilleux, chef-mentor et coprésident du Conseil régional de mentorat de Chaudière-Appalaches.

Pour M. Veilleux, le Québec doit faire une priorité de garder la propriété de ses entreprises.

Certes, c’est un objectif important. Mais, sur le terrain, c’est parfois difficile à réaliser. Parce que la transmission d’une entreprise est avant tout un projet humain. « C’est une démarche hors de l’ordinaire. L’aspect humain est central dans un dossier de relève. Mais c’est aussi le plus difficile à mesurer », explique Laurent Genest, directeur principal, transfert d’entreprise à la Banque Nationale.

Ce dernier sait de quoi il en retourne puisque son équipe a piloté 635 dossiers de relève ces dernières années. Et contrairement à ce que plusieurs croient, une banque ne met pas les freins quand on lui présente un dossier de transfert : « Quand on a une entreprise comme cliente depuis 30 ans, on ne veut pas la perdre. Le prêteur, certes, voit de l’équité et du passif. Mais, dans un dossier de transmission d’entreprise, il doit aller au-delà de ces notions de base. »

« Cela dit, banquiers et financiers ont encore du chemin à faire dans ce domaine. Chez nous, un client de relève sur deux vient d’une autre institution financière », commente-t-il.

Laurent Genest suggère aux cédants et repreneurs de magasiner leurs financiers quand vient le temps de planifier une reprise. « Si vous ne sentez pas qu’on vous écoute, qu’il n’y a pas de chimie, changez de banque. L’argent a la même couleur partout », dit-il.

Difficile pour tout le monde

Ce qui est difficile pour une banque l’est surtout pour le cédant. Il doit faire de la place au repreneur pour que celui-ci se fasse connaître et établisse sa crédibilité. Le repreneur doit s’impliquer fortement dans l’entreprise, même si le cédant tient encore les rênes. « Le taux de réussite d’un transfert s’apparente à celui d’un lancement d’entreprise : une minorité survit au bout de cinq ans, affirme Jean Veilleux. Mais ce taux augmente sensiblement quand un mentor est impliqué dans le dossier. »

Jean Veilleux mentionne, hilare, que quand le cédant décède, le taux de réussite augmente encore plus, ce qui provoque les rires de l’assistance. « L’étape la plus importante de cette transaction et le défi le plus grand pour le cédant, c’est que ce dernier doit apprendre à se tasser, dit-il cette fois très sérieusement. Dans ce contexte, le cédant doit aussi avoir le soutien d’un mentor. »

Chaque cas est unique et toute transmission d’entreprise a ses complications légales, fiscales et humaines. « Le cédant doit planifier assez rapidement son gel successoral, approfondir sa vision, déterminer qui doit prendre la relève et jusqu’à quand il doit demeurer au sein de l’entreprise », reprend Francis Nadeau.

Pour les entrepreneurs, qui ne sont généralement pas pressés de vendre, voilà des étapes qui peuvent pourtant prendre des années…

Car il y a plusieurs phases à un dossier de transfert (v. encadré en page 5). Le cédant doit bien réfléchir à ce processus complexe. « L’étape la plus compliquée pour un cédant, c’est de planifier son départ parfois quinze ans avant le fait, commente Jean Veilleux. Surtout s’il veut vendre à ses enfants. Mais ces derniers sont-ils intéressés ? Certains entrepreneurs le prennent pour acquis et n’en discutent même pas avec leur progéniture. »

Jean Veilleux donne l’exemple de ses fils, qui sont tous deux entrepreneurs. L’un des deux voulait réussir par lui-même. Il a ainsi connu le succès.

De la pression

La pression est aussi énorme sur la relève. L’entreprise est souvent beaucoup plus grande que si le repreneur l’avait lancée par lui-même. Et ce dernier, s’il est la fille ou le fils du patron, doit prouver sa valeur après du personnel, des fournisseurs et des banquiers.

« Il doit travailler deux fois plus fort qu’un repreneur externe, dit Jean Veilleux. Les cédants doivent y être sensibles. Surtout que les parents prennent souvent la mauvaise habitude de ne pas donner de tape dans le dos à leurs enfants. »

Il a d’ailleurs vu un entrepreneur tasser son fils pour vendre à un repreneur américain… de qui le fils a racheté l’entreprise par la suite !

Dans ce contexte, les mentors ne doivent surtout pas jouer à l’expert. « Des consultants dans le domaine du transfert d’entreprise, il y en a des tas, reprend M. Veilleux. Le rôle du mentor, c’est d’épauler, d’écouter, de partager son expérience, tant auprès des cédants que des repreneurs. »

Long processus

Les transferts d’entreprises s’effectuent sur un horizon de un à cinq ans selon Laurent Genest. Il avertit cédant et repreneurs : le rôle d’une banque n’est pas celui d’un conseiller fiscal, comptable ou psychologue. « S’entourer adéquatement, c’est capital. Les repreneurs doivent impérativement rencontrer un planificateur financier. Ne serait-ce que pour déterminer combien de capital ils devront disposer pour survivre aux cinq prochaines années. »

Et la transaction diffère de nature selon que la relève est apparentée ou non, ou les deux. Surtout en matière de financement. Le prix, la balance de vente, la source du financement externe de la transaction demeurent des questions sensibles.

« Quand c’est la direction qui rachète, le cédant veut sortir au plus vite. Quand les enfants sont impliqués, il accepte souvent de rester. Ça rassure les financiers », mentionne Laurent Genest.

D’autant plus que le bilan de l’entreprise doit être sain avant même de songer à sa relève. Il faudra aussi moderniser certaines pratiques. Cela implique d’en discuter entre repreneurs, cédants et banquiers. « Parfois, on se retrouve avec une entreprise qui doit vendre une division. Ou se départir des trois quarts de ses activités pour ne se retrouver qu’avec la division qui intéresse le repreneur, dit Laurent Genest. On n’improvise pas de telles transactions. »

Jean Veilleux, avec un humour corrosif, propose aux cédants de devenir mentor de jeunes entrepreneurs. « Ils comprendraient dans quoi se débattent

leur propre relève ! Et ça les occupera quand ils quitteront leur propre entreprise. »

Sauter dans le vide

M. Veilleux a raison : un entrepreneur est habitué à relever des défis, à avoir un cercle de partenaires d’affaires. Il craint, en cédant son entreprise, de se retrouver devant rien. « On doit sensibiliser les cédants à se choisir de nouveaux défis. Pas juste de jouer au golf. »

Certains lancent de nouvelles entreprises, reprend Francis Nadeau. D’autres s’impliquent dans le mentorat pour entrepreneurs.

Parfois, ça se complique quand les enfants travaillent au sein de l’entreprise mais qu’ils n’en sont pas les repreneurs. « Le cédant est dans une position délicate quand les repreneurs font le ménage après la transaction, surtout lorsqu’ils montrent la porte à certains de ses proches, les enfants, les frères et soeurs, les cousins… Le cédant doit avoir une discussion franche avec eux avant de partir », dit Laurent Genest.

Jean Veilleux en rajoute : « Une bonne transaction, ça signifie que le cédant, la famille et les repreneurs se sont dit les vraies affaires au préalable. Même si ça fait mal. La reprise pourra alors se faire dans l’harmonie. »

Les meilleurs dossiers de transmission d’entreprise sont ceux préparés de longue date, martèlent les panélistes. Et ceux dont le cédant et le repreneur ont chacun leur mentor ont des chances de succès encore plus grandes. « Mais les mentors ne doivent pas tomber dans le piège de devenir des médiateurs, avertit Jean Veilleux. C’est aux consultants de jouer ce rôle. Car les conflits sont inévitables. Le mentor n’est pas un outil de gestion. C’est un accompagnateur. Surtout dans les moments difficiles. »

« Comme mentor, on accompagne cédants ou repreneurs à gérer leurs émotions. Et ce genre de transaction, c’est une montagne d’émotions à digérer pour ceux qui partent et ceux qui reprennent le flambeau », conclut-il.

Encadré:

Les CTE,gardiens du processus de transfert

Quatre Centres de transferts d’entreprises (CTE) sont établis, depuis quatre ans, dans les régions de la Mauricie, du Saguenay–Lac-Saint-Jean, des Laurentides et de la Capitale-Nationale. Dès cet automne, cinq nouveaux CTE seront en activité dans les régions de Montréal, de la Montérégie, de Lanaudière, de Chaudière-Appalaches et de l’Estrie. De concert avec les acteurs du milieu, leur mission est d’informer, de sensibiliser, de former et de guider les cédants et les repreneurs dans leurs démarches respectives de transmission/reprise, afin d’assurer la pérennité des entreprises de leur territoire.

WWW.TRANSFERTDENTREPRISES.QC.CA 

« Cinq conseils pour réussir le transfert de son entreprise », Lavallée, Stéphane et al. Les Affaires – Guide Croissance 2013, numéro hors-série, octobre 2012, p. 4 de la section Guide Transfert d’entreprise.

Encadré:

3 phases stratégiques

Apprentissage : le repreneur travaille fort pour connaître tous les rouages de l’entreprise

Direction : le repreneur et le cédant se partagent les responsabilités de la direction de l’entreprise, le cédant achète des actions

Désengagement : Le cédant quitte progressivement mais peut demeurer au conseil d’administration, le repreneur achète le reste des actions

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