Taxer le stationnement à Montréal?

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Publié sur le site web du Journal des Voisins, 20 mars 2023

On peut lire l’article ici.

Livre blanc: Le stationnement à Montréal – 23 propositions pour une mobilité efficace, équitable et écologique, du Conseil régional de l’environnement de Montréal (CRE-Montréal). (Image: courtoisie CRE-Montréal)

Le 7 mars dernier, le Conseil régional de l’environnement de Montréal (CRE-Montréal) présentait 23 propositions portant sur le stationnement à Montréal. Ce virage majeur en écofiscalité risque de faire grincer bien des dents dans Ahuntsic-Cartierville.

En effet, le CRE-Montréal propose la fin de la gratuité. Son livre blanc souligne que le stationnement automobile occupe un espace et des ressources considérables, assumées par tous les contribuables montréalais. L’organisme rappelle que le coût annuel moyen d’une case de stationnement est d’environ 1275 $, selon une méthodologie du Victoria Transport Policy Institute. 

Montréal compte autour de 450 000 places gratuites de stationnement, qui occupent 27 % de la voirie, soit 12 fois l’espace dévolu aux voies réservées aux bus et aux vélos. Autrement dit, plus du quart des rues est occupé par des véhicules stationnés. Pire: alors qu’une crise du logement frappe la métropole, l’espace dévolu au stationnement représente assez de terrain pour construire des logements qui abriteraient 40 000 personnes.

Selon la Chaire Mobilité de Polytechnique Montréal, 68,4 % de la voirie(stationnement et circulation) est dédiée aux seules voitures.

Une tarification qui couvrirait les frais annuels évoqués précédemment se traduirait par des revenus de 573,7 millions de dollars (presque l’équivalent de la facture du futur service de bus rapide, sur le boulevard Pie-IX, dont les coûts totalisent 635 millions).

De nouveaux revenus

L’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville compterait environ 40 000 places de stationnement sur rue, dont 96 % seraient gratuites, selon une étude de la société AECOM commandée par la Ville de Montréal en 2015. 

Si on se fie à l’étude du CRE-Montréal, les revenus tirés d’une éventuelle tarification dans Ahuntsic-Cartierville s’élèveraient à 51 millions de dollars. 

Or, les villes dépendent largement des revenus de taxes foncières, qui n’augmentent pas au même rythme que leurs dépenses, qui elles, sont affectées par l’inflation.

Le CRE-Montréal propose donc de tarifer tous les espaces gratuits, de manière progressive jusqu’en 2035. Toutefois, certains espaces ne sont pas toujours occupés, ou pourraient être boudés par des automobilistes qui refuseraient d’en payer le juste prix. Le CRE-Montréal suggère de les retirer au profit des transports actifs et en commun ou pour faire du verdissement.

Le retrait des espaces de stationnement sur rue est souvent critiqué parce que certaines clientèles défavorisées ne peuvent se tourner vers d’autres formes de transport. Soit à cause d’une offre déficiente, soit par des limitations physiques. Le CRE-Montréal propose donc un système de vignettes où ces résidants auraient priorité sur les places disponibles, ainsi qu’une aide financière pour les ménages à faible revenu qui n’ont pas d’autres options de transport.

L’organisme suggère aussi de réduire le stationnement dans les immeubles à logement existants ou futurs, et de privilégier le stationnement en structure ou souterrain. Le CRE-Montréal va même jusqu’à proposer l’allègement des comptes de taxes pour les propriétaires qui verdissent leur stationnement ou y installent des bornes électriques.

Le CRE-Montréal se défend de bannir la voiture. Il propose de mieux définir sa place et son usage alors que l’espace se fait de plus en plus rare en ville.

Stationnement incitatif de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville, au coin des rues Fleury et Chambord. (Photo: Éloi Fournier, JDV)

Ça remonte à loin

Des travaux de recherche menés dans les années 1970 par le professeur Donald Shoup, de l’Université de Californie à Los Angeles, ont révélé que les automobiles sont stationnées 95 % du temps. Et que le principal frein au développement de l’offre des transports en commun et actifs est l’offre généralisée de stationnement gratuit, subventionné par les promoteurs des nouveaux quartiers résidentiels, les employeurs, les institutions publiques et privées, les centres commerciaux, bref l’ensemble de la société. 

Pire: le professeur a prouvé qu’une bonne part de la congestion routière et de la pollution urbaine étaient causées par des automobilistes à la recherche d’une place de stationnement. M. Shoup a aussi révélé que, dans certaines villes nord-américaines, plus d’espace était consacré au stationnement qu’au logement.

En 2004, il récidive en proposant de taxer le stationnement privé ou public pour financer les transports en commun et actifs.

La gratuité du stationnement est principalement assumée par les consommateurs, car le coût, caché, est intégré dans les produits et services que nous consommons quotidiennement. Elle stimule aussi notre dépendance collective à l’automobile.

Questionnements

Si Montréal décide de tarifer le stationnement sur rue, de nombreux enjeux seront inévitablement soulevés:

  • les citoyens se sentent déjà surtaxés à cause de la hausse vertigineuse de la valeur des propriétés. Une taxe additionnelle sur l’usage de leurs véhicules sera très mal acceptée par une population très attachée à ce mode de transport, et qui croit déjà que les taxes élevées suffisent à couvrir les coûts du stationnement;
  • les clientèles vulnérables (aînés, handicapés, personnes vivant dans des territoires mal desservis par les transports en commun) se sentiront directement visées si cette mesure d’écofiscalité ne s’accompagne pas d’une compensation financière ou d’une amélioration du service;
  • le recours à des services d’autopartage, comme Communauto, a ses limites, puisque le service, déjà saturé, peine à élargir sa flotte à cause de la crise de la chaîne logistique affectant les fabricants automobiles;
  • la pratique du covoiturage prend difficilement racine alors que l’usage de l’automobile est une pratique individualiste; de nombreux déplacements sont également décidés à la dernière minute, ce qui complique le covoiturage;
  • le seuil d’acceptabilité tarifaire sera difficile à établir, alors passer d’une vignette annuelle de 150 $ à plus de 1250 $ ne se fera pas sans explications poussées sur le véritable coût du stationnement sur la voie publique;
  • les autorités devront aussi expliquer que ce sont tous les contribuables qui paient pour un usage privé;
  • certains experts croient qu’en éliminant la gratuité du stationnement, on accélérera l’exode urbain des résidants et des employeurs vers la banlieue, qui tire un avantage concurrentiel artificiel d’un stationnement gratuit généralisé sur son territoire. D’autant plus que de nombreuses banlieues se refuseront à tarifer le stationnement sur leur territoire; une telle situation pourrait aussi aggraver les problèmes de circulation dans la métropole;
  • il faudra bonifier l’offre de stationnement incitatif dans l’arrondissement, qui est déjà la moins généreuse à Montréal;
  • l’offre de transport en commun devra être largement améliorée, alors que les gouvernements supérieurs peinent à financer les projets qui se font attendre sur des décennies. Il faudra aussi financer avec des fonds publics le transport semi-personnalisé (taxi, Eva – une coopérative pour passagers et conducteurs –, Uber);
  • les transports actifs sont freinés par une fausse perception, largement répandue, qu’il est difficile, voire impossible, de faire du vélo l’hiver. Les employeurs devront s’adapter (douches, programmes incitatifs);
  • les produits de la nouvelle taxe iront-ils aux arrondissements, à la Ville-centre ou strictement aux projets de transport collectif et actif?

Bref, le livre blanc sur le stationnement de Montréal promet de soulever bien des discussions!

 

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